Thérapies familiales et maladies mentales complexes

May 10, 2018 | Author: Anonymous | Category: Documents
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IO t m Jacques Miermont la distinction entre thérapeutiques plurielles et coordonnées. On peut mentionner les pathologies psychotiques de l’enfant Annales Médico-Psychologiques 172 (2014) 83–91 § En hommage à André Adresse e-mail : jacque 0003-4487/$ see front m http://dx.doi.org/10.1016/ l’étiologie, au pronostic et au traitement : troubles, syndromes et maladies reste paramètres contextuels internes et externes difficiles ou impossibles à déterminer ; ce qui nécessite des interventions 1. INTRODUCTION Les maladies mentales complexes se caractérisent le plus souvent par des difficultés et/ou des incertitudes maintenues quant au diagnostic, à conjecturale, les hypothèses diagnostiques pouvant être contradictoires d’un praticien à l’autre pour un même patient ; il n’existe pas une cause unique à l’apparition de la maladie ; les causalités sont multifactorielles, renvoyant à des If complex mental diseases are affecting not only persons who present troubles, but also their close relatives, the way to proceed needs new and specific family interventions in a therapeutic purpose. Most often the demand comes from the professionals involved in the care. They have to deal with the reduction of individual and family autonomy. The first step is to delimit the fields of shared helplessness, in a way to enhance the therapeutic potentialities, which appear at the boundaries of these fields and which appeal to the life ecosystem’s resources. Then the focus of the therapy is today life-axis than history, prospective rather than retrospective. The purposes are to help and hold the family members, to relieve their sufferings, to reduce their anxieties, to offer a space of humanity, of conversation, of elaboration about what happens, of emotional and cognitive sharing. � 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Famille ; Thérapie familiale Keywords: Family; Family therapy Résumé Si les maladies mentales complexes affectent non seulement les personnes qui en sont atteintes, mais aussi celles de leur entourage, la manière de procéder réclame des approches familiales renouvelées et spécifiques dans une perspective thérapeutique. La demande provient alors le plus souvent des professionnels impliqués dans les soins. Ceux-ci doivent faire avec la diminution de l’autonomie personnelle et familiale. Il s’agit dans un premier temps de circonscrire les domaines d’impuissance partagée, de manière à favoriser les potentialités thérapeutiques qui s’expriment à la périphérie de ces domaines et qui font appel aux ressources de l’écosystème de vie. Dès lors, l’axe de la thérapie est davantage celui de la vie quotidienne que celui de l’histoire, prospectif plutôt que rétrospectif. Les objectifs sont d’aider, de soutenir les membres de la famille, de soulager leurs souffrances, d’atténuer leurs angoisses, d’offrir un espace d’humanité, de conversation, d’élaboration sur ce qui arrive, de partage émotionnel et cognitif. � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract 65-67, avenue Gambetta, 75020 Paris, France DÉVELOPPEMENT PROFESS Thérapies familiales e Family therapy and co Féline. [email protected]. atter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s j.amp.2013.11.014 NNEL CONTINU maladies mentales complexes§ plex mental illness et de l’adulte, les troubles de l’humeur, les pathologies des conduites alimentaires et les toxicomanies avec comorbidités . la so es in sycholo comportements singuliers et souvent hors normes. Il est dès lors tentant de les décrire en termes de dysfonctionnements familiaux et de proposer alors une thérapie familiale. Ce niveau d’analyse de la situation et de démarche thérapeutiques s’avère très souvent comme contre- performant : il tend en effet à stigmatiser la famille, et à faire, de façon implicite ou explicite, une relation de cause à effet entre la genèse des troubles et le dysfonctionnement familial. Dans un tel cas de figure, les membres de la famille, déjà confrontés à des sentiments de culpabilité, de honte, d’impuissance, de disqualification, peuvent voir ce discrédit la co rt des proches, des demandes de permissions de visites, de rties, etc. Les professionnels en contact avec les membres de famille perçoivent leurs inquiétudes, mais aussi leurs soi pa ant à la nature des troubles et des objectifs à atteindre. La demande de thérapie familiale est alors rarement le fait de famille elle-même. Lors d’une hospitalisation, les équipes de ns sont confrontées à des demandes d’informations de la aut qu (intrications entre pathologies schizophréniques et addictions, entre troubles des comportements alimentaires, dépression ou psychose, etc.), les pathologies limites, les troubles démentiels, les maladies orphelines en psychiatrie ; mais aussi les maladies neurologiques dégénératives, les maladies somatiques chroni- ques invalidantes, les troubles graves de la personnalité, etc., voire des pathologies multiples touchant plusieurs personnes d’une même famille. De telles maladies se traduisent par une défaillance des processus contribuant à l’autonomie. On peut constater : � soit un excès d’autoréférence empêchant l’assimilation de certaines propriétés venant de l’environnement ou l’accommodation à ses influences (psychoses) ; � soit un excès d’hétéroréférence où les influences de l’environnement en viennent à prendre la commande des centres de prise d’initiative et d’autodétermination internes (addictions) ; � soit un excès des deux, entraînant des spirales infernales où les remèdes sont pires que les deux maux. Il s’ensuit des dysfonctionnements d’oscillations entre l’autoréférence et l’hétéroréférence qui affectent le patient et son entourage familial et social. Ces dysfonctionnements se traduisent par des conduites ambivalentes, l’atteinte du libre arbitre, l’apragmatisme, l’emprise réciproque des systèmes personnels, familiaux, sociaux les uns sur les autres, etc. ; le self- intime et le self-familial et -social véhiculé par autrui sont intriqués, non différenciés. Ces intrications d’écosystèmes indifférenciés rendent très problématique la reconnaissance contextuelle de l’autonomie des personnes en souffrance et de leurs groupes d’appartenance. La gravité des troubles peut se manifester par des passages à l’acte auto- ou hétéro-agressifs, la violence morale et physique, dans un climat de dangerosité et de qui-vive permanent. Il s’ensuit des difficultés dans la prise en charge : la non-reconnaissance des troubles et le refus du traitement de la part du patient, la désorganisation des relations au sein des équipes et des familles, des projections et accusations croisées entre les unes et les res, avec des affrontements de points de vue incompatibles J. Miermont / Annales Médico-P84 nfirmé de l’extérieur, et réagir par une attitude symétrique, Il apparaît plus fructueux que l’équipe de soins repère en son sein les difficultés auxquelles les intervenants sont confrontés, d’en faire part à la famille et demander son aide. Ces difficultés sont révélées par une inquiétude face au risque vital, face à des conduites dangereuses, un sentiment d’épuisement et/ou d’impuissance, ou encore une perplexité quant aux conditions de sécurité qui permettrait d’envisager des permissions ou une sortie de l’hôpital. La sollicitation d’une consultation familiale avec la participation des membres de l’équipe thérapeutique devient alors un partage d’expériences, de concertations, ainsi qu’une prise en compte des attentes des divers participants. Lorsque la consultation familiale est d’emblée envisagée sur un mode ambulatoire, les thérapeutes peuvent solliciter la présence du ou des demandeurs en tout début de prise en charge, lorsque cette présence est envisageable. Il est en tout cas indispensable que la demande des professionnels qui adressent la famille soit explicitée, et que les divers membres de la famille précisent leur position personnelle vis-à-vis de cette demande. Selon la forme des processus initiés lors des consultations, la nature initiale de la demande est susceptible d’évoluer, pour peu que les membres de la famille fassent l’expérience d’effets thérapeutiques attribués à leur engage- ment lors des séances. Dans ces deux cas de figure, l’implication des personnes de la famille qui consultent se fait sous la forme d’une aide aux thérapeutes, plutôt que de la mise en œuvre d’une thérapie intrafamiliale. La thérapie évolue par un partage rassurant d’expériences et de connaissances entre la famille, les thérapeutes et les intervenants extérieurs, ainsi que par une restitution de ce qui circule d’elle-même dans les circuits sociaux et personnels avec lesquels elle est en contact. 2. SITUATIONS CONTEXTUELLES Les maladies complexes sont le plus souvent corrélées à des impacts contextuels qui se manifestent par des angoisses collectives diffuses, lancinantes, par des stratégies de survie qui viennent se substituer aux rythmes relativement fluides de la vie ordinaire. On constate habituellement une déritualisation des liens, des défaillances mythiques, ainsi que des carences affectives et des scotomes épistémiques (cf. plus loin). L’appréciation des situations contextuelles complexes repose sur : � l’aveu d’échec et le constat d’impuissance partagés par les membres de la famille et les intervenants, dans le domaine d’action ou d’intervention où la demande de changement apparaît la plus souhaitée ou souhaitable ; � la prise en compte de processus qui conduisent éventuel- lement, quoi que l’on fasse, à des situations qui s’aggravent ; � la modification des objectifs envisageables : le produit d’une cha térieur, inconnu et déconnecté du travail de l’équipe de soins t perçu comme une menace, une remise en cause directe ou directe de son fonctionnement, et une incitation au ngement. tiqu ex miroir, où le discrédit est reporté sur l’équipe thérapeu- e. Dès lors, proposer à la famille de consulter un thérapeute en giques 172 (2014) 83–91 opération complexe aboutit à un résultat négatif, préférable à si le so sych apprendre à son patient à réaliser les mouvements les plus mples lorsqu’il a subi un grave dommage, et ceci, en lui faisant moins mal possible. Le moindre progrès, aussi minime et ténu thé ré lui de l’extrême patience et de la modestie : le travail du rapeute s’apparente à celui du kinésithérapeute qui doit ce la situation initiale ; l’alternative n’est plus entre le bon et le mauvais, mais entre le pire et le moins pire ; � ne pas ne pas faire se révèle malgré tout préférable au faire ou au non faire ; � le fait d’aller moins mal n’est pas identifiable au fait d’aller mieux. L’objectif est de circonscrire les domaines où le constat d’impuissance est partagé par les familles et les équipes, de manière à éviter les spirales négatives et à valoriser les échanges constructifs dans les terrains constructibles. Il devient ainsi envisageable de mobiliser les énergies pour l’exploration de domaines à défricher pas à pas, permettant de retrouver du sens à l’existence de personnes en grande souffrance. 3. LE VÉCU DES THÉRAPEUTES Le plus souvent, lors de pathologies complexes, les thérapeutes ont l’impression d’être pris en défaut lors de la conduite des séances. Ils se sentent envahis par des sentiments où se mêlent l’insatisfaction, l’inanité, l’inefficacité, la médio- crité. Ils se demandent ce qu’ils sont en train de faire : les échanges apparaissent pauvres, sans grand intérêt, sans importance. Chaque instant compte pour des heures. Les voilà obligés de lutter contre l’ennui, la torpeur, l’envie d’arrêter. Toutes ces manifestations sont cependant, pour les thérapeutes, les indices précieux d’une situation de désap- prentissage accéléré et d’incitation à réapprendre autrement. Devoir renoncer à être de bons thérapeutes, conformes aux modèles plus ou moins idéalisés véhiculés par les meilleurs ouvrages ou par les prestations spectaculaires des grands noms de la profession, devient un impératif incontournable. En effet, le recours à des techniques ou des méthodes bien assises semble alors hors d’atteinte ou hors sujet. Les outils thérapeutiques habituels se révèlent inutilisables ou contre- performants. Que leur reste-t-il alors s’il ne subsiste pratiquement rien de ce qu’ils ont appris à faire pendant toutes leurs années de formation ? J’aime à dire que le genre d’outils qui leur reste ressemble au couteau de Lichtenberg : un couteau sans lame auquel il manque le manche. Non seulement chaque thérapeute en est conduit à reconnaître et à accepter ses propres limites, mais il doit encore s’accommoder de la perception de ses grandes insuffisances. Plus exactement, il lui faut travailler avec les zones d’ombre de lui-même qui lui apparaissent comme les plus insignifiantes, celles qui ne paient pas de mine, qui sont éloignées des prestations spectaculaires, qui pourraient lui permettre de briller aux yeux des collègues. Il ne s’agit pas de faire ici l’éloge de la médiocrité, mais plutôt J. Miermont / Annales Médico-P it-il, mérite d’être soutenu et consolidé. On pourrait dire que le thérapeute familial devient un kinésithérapeute de l’esprit en grande souffrance. Cette culture de l’extrême patience ne relève ni de la complaisance ni de la flagornerie. Elle permet d’être en phase avec l’âpreté de l’existence que les personnes vivent au quotidien. 4. ORIENTATIONS THÉRAPEUTIQUES Dans les pathologies complexes, la thérapie familiale s’inscrit dans une prise en charge articulant plusieurs formes d’inter- ventions thérapeutiques : prescription de psychotropes, mise en œuvre d’une psychothérapie individuelle, voire hospitalisa- tion, thérapie institutionnelle, thérapie occupationnelle, réha- bilitation sociale, etc. Ces articulations créent des interférences réciproques sur les différentes modalités d’intervention. Les psychotropes ne se contentent pas de produire des effets neurophysiologiques et psychologiques chez le patient qui les prend. Ils modifient les communications avec l’entourage ; et de ce fait, ils transforment l’expression des personnalités impliquées dans l’échange. Ce qui implique des échanges entre le patient, le psychiatre prescripteur et les proches qui vivent en contact régulier avec le patient. Une dimension thérapeutique naît de la germination et de la différenciation des équipes de soins, qui apprennent à développer l’autonomie des pôles spécifiques d’actions thérapeutiques, susceptibles de s’articuler et de participer à un principe de cothérapie élargie ou généralisée. Cette polarisation des activités thérapeutiques conduit à distinguer et à relier les thérapies institutionnelles, d’une part, et les thérapies familiales, d’autre part. 4.1. Thérapies institutionnelles Les thérapies institutionnelles sont nées d’un projet de soigner les tendances iatrogéniques de l’institution, ses dérives totalitaires liées à l’enfermement, à l’organisation sur le mode d’une hiérarchie immuable, à l’impossibilité de concevoir un « au-delà des murs de l’asile ». Il s’agit de repenser l’architecture, de réorganiser les formes de relations entre les membres de l’équipe de soins, le personnel médical et paramédical, le personnel administratif, et de mettre en œuvre des sociothérapies pour les patients. Cet infléchissement de la vie institutionnelle dans une perspective thérapeutique repose sur l’établissement d’une alliance avec les malades, une diversification de leurs modes d’échanges, un encouragement à leurs prises de responsabilité et de décision. En privilégiant les rencontres entre patients, aides-soignants, infirmiers, méde- cins, psychologues, assistantes sociales, et en instaurant une mise en commun de ces expériences, la thérapie institution- nelle cherche à développer la vie sociale du patient dans les dimensions de l’aide, de la désaliénation, du développement de l’autonomie. Autrement dit, l’enfermement présente un double aspect de remède et de poison. Il présente un aspect thérapeutique si ses modalités de réalisation sont diversifiées (de la chambre d’isolement à la protection de la communauté ologiques 172 (2014) 83–91 85 institutionnelle) et ajustées, à chaque instant, à l’évolution de sych l’état du patient. Il devient iatrogénique si une forme de contention devient inadaptée (soit par excès, soit par défaut), et perdure bien au-delà de sa justification thérapeutique. Les thérapies institutionnelles mettent en jeu des processus de familiarisation sociale de la personne de l’aliéné : le patient peut se familiariser avec les contraintes de la vie en société, par la mise en contact avec des codes d’interactions, des systèmes de valeurs, de croyances, de savoir et de savoir-faire de ses interlocuteurs, distincts de ceux de sa famille. Dans leur vie professionnelle, les membres de l’équipe se familiarisent tout autant avec les singularités des perturbations et des qualités du patient, de même qu’ils échangent leurs expériences à propos des rôles et des fonctions parentales, filiales, sociales, en fonction des difficultés qu’ils ont rencontrées au contact avec celui-ci. Le partage de ces expériences avec ceux-ci est susceptible de pallier les difficultés que ces derniers éprouvent dans l’établissement de leurs relations à autrui. L’équipe apprend réciproquement à se familiariser avec la personnalité du patient, en partageant des impressions partielles que les intervenants ont retiré de leurs rencontres avec celui-ci, et en synchronisant leurs points de vue. Ces rencontres créent artificiellement des modes d’échange qui, d’ordinaire, surgissent spontanément lorsque deux personnes échangent des informations sur une troisième personne qu’elles connaissent dans des contextes différents. De telles rencontres produisent des processus de reconnaissance sociale d’une personnalité dont les traits, d’ordinaire, restent éclatés, impossibles à circonscrire et à définir. 4.2. Thérapies familiales D’une certaine façon, les thérapies familiales ont été une réponse aux limites et aux excès des thérapies institutionnelles, même lorsque celles-ci ont été conçues avec le maximum de souplesse et d’ouverture. D’une part, il apparaît en effet extrêmement difficile d’imaginer, dans le cadre de ce qu’on appelle l’institution, un champ extérieur à celle-ci. Le terme même d’« institution » ne permet pas de savoir s’il s’agit de l’ensemble des dispositifs psychiatriques architecturaux et organisationnels ou de l’ensemble des champs sociaux régis par les processus politico-économiques. D’autre part, la tendance inhérente à la pratique de la thérapie institutionnelle est de se substituer, en tout ou en partie, de manière implicite ou explicite, aux défaillances de la famille du patient. Celle-ci peut être perçue comme pathogène, refusant parfois de manière violente les « progrès » du patient ayant précisément bénéficié de la thérapie institutionnelle. Du point de vue de la famille, ces « progrès » sont alors perçus comme inadéquats, à court terme ou à long terme, pour la reprise d’une vie sociale « normale ». Les parents peuvent se sentir mis en accusation, dépossédés de leurs propres tentatives de venir en aide à leur enfant, tandis qu’ils constatent à quel point celui-ci reste étroitement dépendant d’eux. Des compétitions peuvent alors surgir entre équipes et familles, et conduire à l’anéantissement des « progrès » appréciés de manière contradictoire, à une aggravation préoccupante de l’état du patient, voire à des accidents mortifères. Le thérapeute familial cherche à faire alliance avec J. Miermont / Annales Médico-P86 l’ensemble des membres de la famille. Il organise des contextes où la forme, le moment et le lieu de l’action efficiente restent a priori indécidables. Il tente de renforcer les racines du sentiment d’identité et d’appartenance, et donc le socle sur lequel s’étayent les processus de socialisation. Ceux-ci supposent la capacité à décrypter les multiples signaux, souvent contra- dictoires, voire antinomiques, qui caractérisent la vie de relation. Pour peu que cette capacité soit défaillante chez un patient ayant le plus grand mal à « apprendre à apprendre » (deutero-apprentissages), les consultations familiales permet- tent de recréer artificiellement des contextes où ces deutero- apprentissages conduisent à gérer les situations critiques. Les thérapies familiales ne consistent pas seulement à faire semblant, mais à faire semblant de faire semblant. L’accès au méta-simulacre conduit à une oscillation de la fiction et de l’action, de la virtualité et de la réalité. De même, l’écoute participative des thérapeutes relève d’un non(non(faire)), où l’oscillation de l’intervention et de la non-intervention génère une incitation à la découverte de nouvelles formes d’auto- nomie. Il s’ensuit une conception thérapeutique, qui émerge des modifications émotionnelles et cognitives conjointement vécues par les thérapeutes et les membres de la famille. De ce point de vue, les thérapies familiales permettent de réaliser des processus de socialisation familiale de la personne aliénée. De nombreuses variables de la différenciation per- sonnelle et de la socialisation sont directement liées à la dynamique de la vie familiale. Paradoxalement, le fait qu’un jeune adulte ait le plus grand mal à quitter ses parents, du fait d’une fragilité personnelle, d’un self peu différencié, ou d’une difficulté à affronter la réalité, rend la participation de la famille indispensable pour favoriser le processus d’autonomisation. Comme le souligne Siegi Hirsch, pour quitter la maison de ses parents, il vaut mieux être habillé, muni de bagages et d’affaires personnelles, et sortir par la porte d’entrée, plutôt que de sauter par la lucarne du grenier en pyjama. Lorsqu’un patient présente une défaillance durable qui l’empêche de s’auto- nomiser, la réactivation régulière des liens familiaux fonctionne comme une stratégie de survie par le recours à des ressources matérielles, affectives et cognitives que seule la famille d’origine possède. Il arrive qu’un patient psychotique ait le plus grand mal à s’exprimer personnellement lorsqu’il se retrouve seul face à une personne étrangère ou face à un groupe social, alors même qu’il recouvre de telles facultés lorsqu’il est entouré de ses proches. Les options thérapeutiques comportent ainsi un versant contextuel (ce qui circule à propos des patients et leurs familles dans les contextes de soins, et ce qui tend à les faire évoluer), et un versant focalisé sur les consultations familiales. 5. LA CRÉATION DES CONTEXTES THÉRAPEUTIQUES 5.1. La réorganisation des équipes, la différenciation des pôles d’intervention et l’autonomie des thérapeutes Lors des contacts avec les familles, les intervenants se voient ologiques 172 (2014) 83–91 incités à mieux repérer, voire à redéfinir leurs places et leurs sych rôles dans la prise en charge. La thérapie familiale peut être envisagée comme un voyage aérien. Dans les situations complexes, il devient nécessaire de différencier les pilotes de ligne qui conduisent la thérapie, et le responsable de la tour de contrôle et des aiguilleurs du ciel qui apprécient les conditions dans lesquelles ce voyage peut s’effectuer, du décollage à l’atterrissage. Dans cette perspective, chacun se doit de transmettre uniquement les informations pertinentes qui assurent la sécurité de l’entreprise. La transmission réciproque de l’ensemble des informations dont chacun dispose pour son travail ne ferait qu’aboutir à une saturation, une confusion et une paralysie des uns et des autres. Le fait de se concerter mutuellement et de le restituer aux familles fait émerger des informations sécurisantes qui permettent à celles-ci de savoir qui consulter et par rapport à quels objectifs en fonction de leurs demandes spécifiques. On voit par ce qui précède que l’autonomie des thérapeutes familiaux est le contraire de l’autarcie et de l’isolement : les degrés de liberté qu’ils peuvent développer reposent sur l’échange d’informations pertinentes susceptibles d’assurer le déploiement de la thérapie en synergie avec les autres modalités d’intervention. 5.2. La réalisation de hiérarchies enchevêtrées entre thérapies institutionnelles, chimiothérapies, thérapies familiales et psychothérapies personnelles Une hiérarchie est enchevêtrée lorsqu’un dispositif théra- peutique en position de sommet dans un contexte donné devient un élément sous-jacent dans un autre contexte. Par exemple, du point de vue du prescripteur de médicaments, la psychothérapie est un complément qui dépend de l’adminis- tration la mieux ajustée de la pharmacopée ; à l’inverse, l’action du psychothérapeute pourra conduire le patient et les proches à découvrir des degrés de liberté dans la manière de s’approprier le traitement pharmacologique. Ou encore, sur le plan institutionnel, les consultations familiales sont une des modalités, parmi d’autres, de la mise en œuvre des actions thérapeutiques appropriées ; tandis que sur le plan familial, la thérapie institutionnelle peut devenir un sous-ensemble des activités vitales du patient et de ses proches. 5.3. La cothérapie élargie entre les différents intervenants, présents ou non lors des consultations familiales Dans les maladies complexes, les familles sont fréquemment demandeuses de contacts réguliers entre intervenants. La cothérapie n’est plus seulement la participation de deux thérapeutes familiaux (ou plus) à la conduite des séances, mais également la concertation réalisée entre les thérapeutes familiaux et les autres intervenants dans la prise en charge. Il arrive que des consultations conjointes entre les divers intervenants et les familles deviennent nécessaires à certains moments de l’évolution, créant un ressourcement des divers J. Miermont / Annales Médico-P intervenants de l’entreprise thérapeutique. Il s’ensuit la création d’enveloppes relationnelles contenantes suffisamment diversifiées, ajustées et évolutives pour éviter les enferme- ments brutaux ou les ruptures de soins à l’emporte-pièce. Il devient alors pertinent d’articuler les pratiques de thérapie institutionnelle et de thérapie familiale de manière à favoriser leurs qualités complémentaires et rendre productives leurs éventuelles oppositions. La recherche d’une potentialisation de ces deux processus, lorsqu’ils entrent en interférence, relève du principe de cothérapie élargie (J. Miermont, 1997). Les expériences institutionnelles réalisées par le patient peuvent être en opposition de phase avec celles de la vie familiale. Il arrive même qu’elles heurtent de front les systèmes de croyance et de valeur de la famille. Lorsqu’il existe un handicap durable, la codépendance à la vie familiale et à la vie institutionnelle n’est pas simple. Elle réclame un ajustement des dynamiques éventuel- lement très contrastées du système institutionnel et du système familial. Loin d’être une gêne, la confrontation de points de vue et d’objectifs opposés peut se révéler fructueuse pour l’appren- tissage des contradictions de l’existence. En favorisant l’émergence de contextes relationnels contrastés, les thérapies institutionnelles, les thérapies fami- liales et les cothérapies élargies contribuent au déploiement de processus autonomes artificiels dans des écosystèmes qui n’arrivent pas, par leurs propres moyens, à gérer les difficultés et les crises de l’existence. 6. LA VARIÉTÉ DES PROCESSUS THÉRAPEUTIQUES EN JEU LORS DES CONSULTATIONS FAMILIALES 6.1. La réalisation du rituel thérapeutique et le développement des expériences « Quoi ? Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui arrive ? » L’existence de maladies complexes chez un (ou plusieurs) membre(s) d’une même famille atteint la nature des échanges ; réciproquement, les relations interpersonnelles produisent des effets sur l’expression des troubles, aboutissant à une déritualisation des liens. Il devient alors difficile d’apprécier les effets de spirales délétères en termes de causalités linéaires, voire même de causalités circulaires strictement localisables au sein des interactions cliniquement observées (effets de la poule et de l’œuf). Le premier objectif thérapeutique consiste à initier la diminution de l’angoisse et l’infléchissement de la tension émotionnelle dans le cours de la séance. Il repose sur la création de rituels extraordinaires de conversation ordinaire : apparemment, les échanges entre familles et thérapeutes relèvent de narrations banales, qui relèveraient d’ordinaire d’échanges spontanés. La différence avec une conversation usuelle est qu’elle n’intervient pas spontanément au sein de la famille livrée à elle-même. Elle nécessite une initiation et une animation de la part des thérapeutes qui relèvent de dispositifs artificiels mis en œuvre par les thérapeutes. Ceux-ci peuvent alors avoir l’impression qu’ils sont de trop. . . à ceci près que s’ils n’étaient pas là, la conversation ordinaire n’aurait tout ologiques 172 (2014) 83–91 87 simplement pas lieu. É C sych Le deuxième objectif peut relever de la prescription de la réduction d’activités et de la mise en repos de l’esprit (P. Janet). Cette prescription nécessite une appréciation minutieuse des actions peu consommatrices en dépense énergétique, et celles qui aboutissent à un véritable épuisement de la personne malade et/ou de son entourage, ou à une aggravation des troubles, voire à des décompensations mortifères. Il s’agit donc d’une mise au repos sélective de l’esprit, nuancée et différenciée, tenant compte des facteurs de vulnérabilité, des fragilités du patient, mais aussi des capacités de son entourage à accompagner cette restriction d’activités, et des contextes dans lesquels chacun évolue. Le troisième objectif revient à reconnaître les zones ineffables liées aux effets de la souffrance du corps qui échappent au travail de représentation mentale, a fortiori de prise de conscience. L’acceptation de l’indicible réclame de supporter ce qui ne peut être mis en mots, et de maintenir malgré tout la poursuite de la séance même si les narrations sont difficiles et se raréfient pendant des périodes plus ou moins longues. Ce travail de maintien et de consolidation des liens par une présence attentive et soutenante est une condition indispensable à la pérennisation des séances ultérieures. 7. LE QUESTIONNEMENT DE LA MYTHOPOÏÈSE ET LE RESPECT DES FORMES DE CROYANCES « Pourquoi ça nous arrive ? Qu’a-t-on fait de mal ? Quelle est la cause ? Qui est responsable ? » Il ne sert à rien, face à des croyances différentes des nôtres, ou face à des conduites qui renvoient à des valeurs éloignées de nos propres valeurs, de penser les modifier en les pointant verbalement ou les contrer par des arguments rationnels. De telles tentatives ne font que les renforcer. Pour autant, chaque thérapeute a acquis des croyances suffisamment fortes pour penser que ses façons de procéder ont globalement des effets positifs sur les personnes qui le consultent, ou, à tout le moins, des effets moins négatifs que l’abstention thérapeutique pure et simple. Dès lors, le point de départ d’une démarche thérapeutique face à un groupe familial consiste à respecter ses modes d’organisation, ses systèmes de croyance et de valeur qui assurent sa cohésion et sa protection vis-à-vis du monde environnant. Cette attitude de respect du mythe familial est d’autant plus nécessaire qu’une maladie complexe vient bouleverser les règles du fonctionnement familial. En effet, l’irruption d’une maladie complexe dans l’existence vient questionner la fonction habituellement protectrice du mythe. Si un tel malheur arrive, n’est-il pas la sanction pour une transgression personnelle, collective, transgénérationnelle, commise précédemment ? Devant une telle effraction vitale de la valeur protectrice du récit mythique, le patient et les membres de la famille peuvent être tentés soit de renforcer leurs croyances mythiques, soit de les relativiser, voire de les abandonner. On voit ici que l’intérêt J. Miermont / Annales Médico-P88 des thérapeutes pour les événements passés peut participer de « Comment comprendre afin de faire face à l’adversité ? Comment survivre ? Comment continuer à chercher et à vivre dans l’incertitude ? » Expériences, croyances et connaissances relèvent à la fois de formes d’actions différentes tout en étant étroitement intriquées. À l’inverse des croyances mythiques, les opérations épistémiques nous permettent de modifier nos hypothèses et nos connaissances en fonction d’argumentations contradictoi- res et des sanctions de l’expérience. Le registre épistémique sollicite l’intelligence personnelle et collective. Il procède par hypothèses, essais et erreurs, en fonction des apports de l’expérience et de l’évolution des croyances. Autant dire que les inférences déductives ou inductives se révèlent insuffisantes pour appréhender et traiter les pathologies complexes : � les inférences déductives conduisent rapidement à un cul-de- sac : « de ce que j’observe, j’en déduis la solution » risque d’aboutir à un leurre de compréhension, ne faisant que renforcer des préconceptions du thérapeute ; � les inférences inductives assimilent la situation perçue à l’ensemble des situations semblables déjà rencontrées dont il suffirait d’abstraire la loi générale à partir de laquelle on pourrait comprendre et agir. Ces deux types d’inférences méritent d’être mises au service des inférences abductives, qui tiennent compte des singularités de chaque situation effectivement rencontrée. L’abduction consiste à faire un écart de pensée par rapport à ce qui saute aux yeux ou aux oreilles, et à orienter la recherche à partir de champs plus ou moins éloignés du terrain clinique immédiat. Ce qui paraît d’emblée évident est alors souvent de mauvais aloi. La manière dont les thérapeutes perçoivent de façon spontanée les postures, attitudes, réactions, interactions des différents partenaires de la famille déclenche un premier niveau d’impressions qui inspirent des qualificatifs le plus souvent stigmatisants : manipulateurs, pervers narcissiques, persécu- teurs, ne feraient que rencontrer des victimes consentantes, vo . LE DÉVELOPPEMENT DES OPÉRATIONS PISTÉMIQUES ET LA PROGRESSION DES ONNAISSANCES 8 l’entretien, voire de l’amplification des sentiments de culpa- bilité, de honte, ou des mouvements de reproches et d’accusation qui s’expriment dans la famille. À l’inverse, les thérapeutes se doivent d’accompagner les membres de la famille dans leur appropriation des connaissances de la maladie complexe en fonction de leurs systèmes de croyance. Il ne sert à rien de les forcer à adhérer aux convictions des cliniciens et des thérapeutes concernant la maladie, fussent-elles « scientifiques ». Plus modestement, les thérapeutes peuvent focaliser leur intérêt pour des nouvelles de la vie quotidienne, la narration de ce qui arrive. Le processus thérapeutique résulte de la recréation dans le temps des séances d’une micro-histoire partagée : les séances peuvent être alors conçues comme événements de vie, temps de ressourcement et d’échange. ologiques 172 (2014) 83–91 ire complices, dans des relations identifiées comme sych pathologiques, voire pathogènes : échanges de coups tordus, accusations réciproques, mots blessants, intonations hostiles, intrusions et envahissements, prédations psychiques, annihila- tions, hostilités destructrices, etc. Si l’on souhaite créer un contexte thérapeutique, il est nécessaire de se départir de ces dénotations négatives et critiques, d’essayer de se mettre en lieu et place des personnes a priori les plus difficiles, voire antipathiques, de prendre en compte leurs points de vue, de connoter positivement leurs attitudes et leurs comportements les plus hors normes. Il est alors possible de comparer plusieurs hypothèses et d’opter pour celle qui résistera le mieux (ou le moins mal) aux épreuves de l’expérience clinique in situ. Par exemple, s’il est possible pour le thérapeute de s’en référer aux différentes options proposées en thérapie familiale pour intervenir (cf. J. Miermont, 2010), il se voit souvent contraint de partir de zéro et de faire fi de ce qu’il croyait connaître. La conduite de l’intervention thérapeutique se positionnera et évoluera selon plusieurs axes : synchronique (ici et maintenant) versus diachronique (rétrospectif et/ou prospectif) ; contenant versus cathartique ; factuel (présentations) versus fantasmatique ou cognitif-comportemental (représentations) ; personnel versus relationnel ; symptomatique versus interactionnel ; interprétatif versus prescriptif ; formel versus informel, etc. Lors d’une pathologie complexe, le registre des inter- ventions présente souvent une valence négative : penser atteindre un résultat positif, dans le référentiel habituel de la normalité, relève de l’utopie. Le principe du tiers exclu, selon lequel il n’est pas d’autre alternative que la vérité ou l’erreur, l’amélioration ou l’aggravation, la réussite ou la déchéance, n’est alors plus de mise. Cet abandon du tiers exclu conduit à favoriser une moins mauvaise solution plutôt que d’en chercher une bonne qui conduit au pire. Lorsqu’un patient nous dit qu’il va moins mal, cela ne signifie pas nécessairement qu’il va mieux. Dans ce registre du négatif, un résultat moins négatif qu’un autre aura des conséquences nettement préférables à celles d’une intervention réputée efficace mais aux incidences qui renforcent les catastrophes en chaîne. Dans un acte cognitif, il existe une zone aveugle, un scotome cognitif qui nous empêche de percevoir les circuits par où transite l’information. Dans les situations cliniques où l’incertitude domine, le scotome cognitif s’étend à des champs d’observation et de compréhension plus vastes. Il n’est pas le même chez le patient, ses proches, et les intervenants. Lors d’une consultation conjointe, la mise en commun des points de vue permet de réduire les zones d’aveuglement et de développer une vigilance cognitive plus appropriée à la prise en compte des problèmes et solutions les mieux ajustées à la situation. Lorsqu’un patient est hospitalisé, rencontrer une famille revient à renforcer les points d’ancrage et les points d’appui à partir desquels un passage de témoin peut s’effectuer entre soignants et thérapeutes en assurant une jonction entre la continuité des soins et la fiabilité des liens. L’échange d’informations, la concertation, la délibération et la décision permettent d’identifier des points de repère, des balises à partir J. Miermont / Annales Médico-P desquels il est possible de proposer un voyage thérapeutique. Celui-ci n’est viable que si la construction du référentiel thérapeutique est identifiable par le patient et les membres de sa famille : qui fait quoi, de quelle manière, et dans quel but ? En ouvrant l’observation vers la ligne d’horizon, les thérapeutes développent une recherche clinique : leur écoute attentive et leurs interventions les incitent à inventer en même temps qu’ils apprennent. Sur le plan thérapeutique, le registre épistémique permet ainsi d’envisager la rééducation des activités préservées qui pallient les défaillances des fonctions atteintes, l’excitation des domaines de l’esprit dégagés des zones de souffrance et l’apprentissage de savoir et savoir-faire face à la nouveauté. Voire même l’acceptation que le patient, dans son équation et son destin singuliers, ait parfois des formes d’intelligence et de performances qui échappent au commun des mortels. La rééducation des activités préservées consiste à renforcer les contextes fonctionnels et à favoriser l’activation des systèmes compensatoires, en évitant de solliciter les zones en souffrance qui confrontent au constat d’impuissance. Lors d’une entorse, l’approche du kinésithérapeute consiste à mobiliser la musculature de l’articulation en modifiant les automatismes psychomoteurs par apprentissage, sans chercher à agir sur la distension ligamentaire difficilement traitable directement. Lors de dysfonctionnements personnels et relationnels, il est préférable d’agir sur les contextes plus ou moins éloignés des zones de dysfonctionnements où les liens sont distendus et fragilisés, plutôt que d’espérer agir directement sur ceux-ci. De même, si l’on considère que l’esprit du patient est clivé, voire éclaté, éparpillé dans l’esprit de ses proches (familles et groupes sociaux), l’objectif thérapeutique, dans un premier temps, sera moins de mobiliser cet esprit que de réunir l’ensemble des proches en souffrance dans une perspective apaisante et contenante, pour permettre un rassemblement des parties éparses de l’esprit et une reconstitution progressive de son unité. Lors d’une fracture, il est nécessaire de la réduire, puis de mettre un plâtre de manière à permettre au cal de consolider l’os. Il apparaît que le temps de reconstitution d’un esprit éclaté est nettement plus long que la consolidation d’une fracture. Dans un deuxième temps, il devient possible de soutenir le patient dans ses tentatives de mobilisation, en évitant la répétition d’expériences traumatisantes. La distinction entre compétences et performances théra- peutiques des intervenants et des familles permet d’envisager une entraide réciproque des uns et des autres. La compétence relève du savoir inhérent à un certain type d’activité. La performance est un savoir-faire, une habileté à réaliser un certain type d’activité. On peut être spontanément performant dans un certain domaine d’action, sans forcément disposer de la compétence qui lui correspond. La réciproque est également observable. Par exemple, certaines performances thérapeutiques déve- loppées par la famille peuvent être validées par les compétences cliniques des thérapeutes. Réciproquement, les compétences familiales sont susceptibles de requalifier les performances des thérapeutes, débouchant ainsi sur la psycho-éducation des ologiques 172 (2014) 83–91 89 intervenants par la famille ; l’apprentissage des thérapeutes � ps sych hypothérapie de l’hypersurface : si l’on considère la complexité des systèmes de communication et de cognition comme modélisable à partir d’un hyper-espace de très grande dimension, la plus grande partie de l’hyper-volume se trouve dans la zone la plus superficielle de cet hyper-espace. Le nombre d’informations situées à la périphérie de l’hyper- volume augmente de façon exponentielle avec le nombre de dimensions de cet hyper-volume. Il existe là un paradoxe. Le miracle de la conversation ordinaire repose sur l’apparente simplicité de codage et de décodage des signaux émis et reçus dans l’espace-temps usuel, à quatre dimensions. Le propre de la « psychologie populaire » a pour fonction de nous permettre de traiter les informations pertinentes dans nos échanges avec autrui (et avec nous- mêmes) de manière fluide et immédiatement intelligible. Lors de pathologies complexes, le moindre échange renvoie chez les membres de la famille et chez les intervenants à des effets de sidération et de paralysie. Dans l’hypothèse métapsychologique de S. Freud, les processus primaires de l’activité mentale ont envahi les processus secondaires, censés assurer l’assise des relations sur les représentations de mots. De ce fait, quoique de complexité moindre, les informations perçues par les me in environnement de vie, voire de survie. Plus la pathologie est lourde et grave, et plus l’intervention ychothérapeutique se doit d’être légère, anodine, apparem- nt simple et peu spectaculaire. Elle s’apparente à une m de l’esprit de celle-ci, voire des personnes ainsi impliquées. le « corps » et l’« esprit » sont deux manières de parler d’un ême processus qui relie les humains entre eux dans leur s sollicités par la famille permet l’évolution de leurs préconceptions et l’ajustement de leurs pratiques. On pourrait parler ici de psycho-éducation des thérapeutes par la famille. Devant une situation nouvelle, patients et familles peuvent trouver une aide par la réalisation de deutero-apprentissages (apprentissages d’apprentissages) en temps réel qui permettent d’éviter une réaction en chaîne de réactions de plus en plus catastrophiques. Ces deutero-apprentissages conduisent à l’acceptation et le partage des zones d’incertitude comme sources d’invention, de connaissance et de reconnaissance. 9. RÉFLEXIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES : LE PROJET ÉCO-ÉTHO-ANTHROPOLOGIQUE COMME ALTERNATIVE AU MODÈLE BIO- PSYCHO-SOCIAL Les découpes admises sur le plan académique entre les disciplines biologiques, psychologiques et sociologiques créent des artéfacts dont leurs associations par un trait d’union ne font qu’aboutir à des impasses épistémologiques, méthodologiques et concrètes : � une molécule ayant des effets psychotropes (qu’il s’agisse d’un médicament et/ou d’une substance addictive) ne modifie pas seulement les sensations du corps de la personne qui les prend, mais celles des personnes de son entourage ; � une intervention sur l’entourage d’une personne en ouffrance peut soulager l’anxiété, la dépression, l’éclatement J. Miermont / Annales Médico-P90 tervenants les contraignent à des surcroîts d’inventivité et de créativité. La superficialité des signaux, loin d’alléger les échanges, ne fait que les plomber. Plus les informations ainsi libérées et désorganisées se trouvent à proximité de la surface, plus elles apparaissent évanescentes, sans importance : elles échappent à la conscience, sont très difficilement représentables et renvoient paradoxalement à des zones de fonctionnement mental profondes et archaïques. Or, ces informations les plus superficielles sont celles qui sont susceptibles soit de déclencher des réactions de violence et de rupture des liens, soit l’infléchissement de cette violence et l’instauration d’un climat apaisé. Non seulement l’intervention se fait au niveau de l’hypersurface des échanges, mais il s’agit d’une intervention thérapeutique a minima. Si les objectifs thérapeutiques sont ainsi contraints et limités, ils n’en sont pas moins précis, pertinents et atteignables : instaurer un climat bienveillant suscitant l’établissement d’un partenariat thérapeutique ; apporter un soutien chaleureux et aussi constructif que possible ; soulager la souffrance ; accompagner chacun dans son cheminement plus ou moins tortueux ; diminuer l’intensité des tensions émotionnelles, en particulier, atténuer l’angoisse et canaliser les mouvements agressifs ; recréer des contextes d’échanges aussi agréables et détendus que possible, lorsqu’ils n’interviennent même plus spontanément hors de l’animation thérapeutique ; renforcer le respect et la valorisation des points de vue de chacun lors de l’expression des désaccords ; développer les apprentissages relationnels dans les zones non atteintes par le constat d’impuissance ; faire de la rencontre clinique un rituel événementiel s’inscrivant dans l’histoire personnelle de chacun. Ainsi, d’un point de vue morphodynamique, les maladies complexes se traduiraient par une réduction de complexité des systèmes de communication et de cognition. Les attracteurs de très grandes dimensions sous-tendant le fonctionnement de tels systèmes seraient dégradés et transformés en attracteurs de dimensions moindres, affectant l’ajustement des activités mentales, des conduites, des échanges émotionnels dans certaines situations spécifiques ou critiques. Les dispositifs thérapeutiques chercheraient ainsi à recréer artificiellement des systèmes de relation et de réflexion régulés par des attracteurs de plus grandes dimensions. Les membres de la famille peuvent tirer profit du partage des résonances émotionnelles perçues par les thérapeutes. Le dispositif thérapeutique fonctionne comme caisse de résonance et chambre d’écho pour des messages dont l’émission, sans ce dispositif, n’arriverait pas à réception. On peut ainsi revisiter la conception des systèmes, par la reconnaissance de l’émergence des processus personnels et familiaux à partir des processus sociaux. Le système ne se réduit pas à son fonctionnement interne et nécessite la prise en compte de ses effets contextuels : la partie familiale et sociale du soi, la partie sociale et personnelle de la famille. Les circuits complétés de l’esprit conduisent à identifier les unités d’esprit sémantiques, les unités de survie évolutive, les unités de changement (G. Bateson). Les thérapies familiales dans l’approche des maladies complexes nous obligent à ologiques 172 (2014) 83–91 concevoir des formes innovantes d’intervention, allant de la psychothérapie en présence des proches, voire en l’absence de la personne malade, à la complexification des contextes sociaux sollicités par la souffrance personnelle et collective. Ces observations et réflexions, issues de 35 années de pratique clinique privée et publique, ne prétendent à rien d’autre que de proposer un instantané susceptible d’évoluer et de se transformer en fonction des demandes personnelles, familiales et sociales en prise avec des souffrances intimes extrêmes et une mutation sociétale sans précédents. DÉCLARATION D’INTÉRÊTS L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. POUR EN SAVOIR PLUS Bateson G. Vers une écologie de l’esprit (1972). 2 T. Paris: Points Seuil; 1995–2008. Bateson G. Une unité sacrée (1991). Paris: Seuil; 1996. Bateson G, Bateson MC. La peur des anges (1987). Paris: Seuil; 1989. Boszormenyi Nagy I, Spark G. Invisible loyalties. New York: Freud S. Métapsychologie (1915). Paris: Gallimard; 1968. James W. The principles of psychology. Cambridge, Massachu- setts and London, England: Harvard University Press; 1983. Janet P. Les médications psychologiques (1919). 3 T. Paris: L’Harmattan; 2007. 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Thérapies familiales et maladies mentales complexes Introduction Situations contextuelles Le vécu des thérapeutes Orientations thérapeutiques Thérapies institutionnelles Thérapies familiales La création des contextes thérapeutiques La réorganisation des équipes, la différenciation des pôles d’intervention et l’autonomie des thérapeutes La réalisation de hiérarchies enchevêtrées entre thérapies institutionnelles, chimiothérapies, thérapies familiales et psychothérapies personnelles La cothérapie élargie entre les différents intervenants, présents ou non lors des consultations familiales La variété des processus thérapeutiques en jeu lors des consultations familiales La réalisation du rituel thérapeutique et le développement des expériences Le questionnement de la mythopoïèse et le respect des formes de croyances Le développement des opérations épistémiques et la progression des connaissances Réflexions épistémologiques : le projet éco-étho-anthropologique comme alternative au modèle bio-psycho-social Déclaration d’intérêts Pour en savoir plus


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