Muhammed Ali à Berlin Une étude de Gerhard Höpp, éditée et complétée par Joshua Rogers et Kathrin Wittler
Muhammed Ali à Berlin Une étude de Gerhard Höpp, éditée et complétée par Joshua Rogers et KathrinWittler
Fondation Friedrich Ebert Tunis 2009
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Fondation Friedrich Ebert
ISBN 978-9938-815-00-9 © Fondation Friedrich Ebert Editeur: Fondation Friedrich Ebert Bureau de Tunisie 16, rue du Safran 2078, La Marsa – Tunisie Tél.: (216) 71 775 343 Fax: (216) 71 742 902 Traduction en français: Soraya Fersi, Tunis Relecture et corrections: Anne Marie Maury Sami Adouani, Tunis Graphiste : Jawhar Chtioui Couverture : carte postale de 1927 "Das alte Berlin" et portrait de muhammed
Imprimé à Tunis, 2009
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Sommaire
I. Préface ..................................................................................
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II. Introduction ..........................................................................
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III. Etude de Gerhard Höpp : Muhammad Ali El Hammi à Berlin (1919-1924) ................................................................................. 10 1. Tunis – Tripoli – Constantinople ............................................... 12 2. Muhammad Ali à Berlin ............................................................ 15 3. Retour en Tunisie ..................................................................... 23
IV. Documents annexes ............................................................ 1. Muhammad Ali à l’Université de Berlin .................................... 2. Situation des étudiants étrangers ........................................... 3. Etudes des sciences économiques ......................................... 3. Habiter à Berlin ........................................................................ 4. Anticolonialisme à Berlin .......................................................... 5. Le Club d'Orient ...................................................................... 6. Documents du Ministère des Affaires Etrangères ....................
30 31 34 37 40 43 48 51
V. Liste des images et gravures .............................................. 55 VII. Annotations ........................................................................ 57 VI. Les Auteurs .................................................................. 59
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I. Préface Muhammed Ali El Hammi représente sans doute le modèle d’identification majeur pour le mouvement syndical tunisien. L’expérience de son séjour à Berlin, de 1919 à 1924, conditionna son engagement ultérieur en Tunisie: il y assistait à des cours sur l’histoire du mouvement syndical et du marxisme, et August Müller l’initia au principe d’une société coopérative appelée à devenir plus tard partie intégrante du programme des syndicats tunisiens. Outre les professeurs universitaires sociaux-démocrates, tels Müller, Werner, Sombart ou Heinrich Cunow, les débats politiques de la République de Weimar eurent une influence sur lui, ainsi que la scène anti-colonialiste des étudiants arabes, alors très active à Berlin, à laquelle il s’est vite ralliée et à laquelle il a participée de manière engagée. En 2001, parut un article rédigé par l’islamologue allemand Gerhard Höpp (1942-2003) indiquant les années passées à Berlin par Muhammed Ali al-Hammi comme référence fondamentale à son engagement ultérieur dans la politique syndicale en Tunisie. La présente publication propose pour la première fois, le texte de Höpp en langue française. L’initiative de ce livre revient à deux jeunes chercheurs allemands, Kathrin Wittler et Joshua Rogers. Ce dernier a fait un stage, en 2007, au bureau de la Fondation Friedrich Ebert à Tunis. Animé par le travail de la Fondation Friedrich Ebert sur place, il commença, conjointement avec sa collègue, à s’intéresser de plus près à Muhammed Ali al-Hammi en se basant sur le texte de Höpp. Ils ont alors exploité de concert les sources d’information pour préparer une note annexe au document. Le résultat est un exemple précoce attestant de manière éloquente à quel point la solidarité et l’échange internationaux inspirent le travail relatif à la politique syndicale. Depuis l’ouverture du bureau de la Fondation, en 1988, l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) est le partenaire principal de la Fondation Friedrich Ebert en Tunisie.
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Depuis l’ouverture du bureau de la Fondation, en 1988, l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) est le partenaire principal de la Fondation Friedrich Ebert en Tunisie. De même que l’Association Club Muhammed Ali de la Culture Ouvrière (ACMACO) qui compte depuis de nombreuses années déjà parmi les partenaires de la FES en Tunisie. Avec la présente publication, nous souhaitons permettre à ces partenaires et aux experts francophones d’accéder à un chapitre important de notre histoire commune. A travers son engagement sur le plan international, la Fondation Friedrich Ebert souscrit aux valeurs de la démocratie sociale. Ses projets visent à promouvoir une société solidaire et participative. Ainsi, l’engagement de la Fondation Friedrich Ebert en Tunisie s’inscrit-il aussi dans la tradition de Muhammed Ali al-Hammi et des idées qu’il a ramenées, en 1924, de Berlin en Tunisie.
Tunis, novembre 2009 Dr. Ralf Melzer Représentant Résident Fondation Friedrich Ebert, Tunisie
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II. Introduction Muhammed Ali El Hammi (1890-1928), co-fondateur du premier syndicat tunisien, est une personnalité émérite de l’histoire contemporaine tunisienne. Cependant, une grande partie de sa vie demeure à ce jour méconnue. Bien que Muhammed Ali ait toujours mis en exergue son expérience berlinoise, on est peu informé de son séjour à Berlin qui a pourtant influencé son engagement futur. Voici ce qu’il confie le 29 juin 1924 à Tunis, dans un discours transmis par Tahar Haddad: «Plus j’en apprenais sur les pays que je visitais, plus je gémissais sur le sort du mien. Ce sentiment de tristesse grandit en moi peu à peu et finit par me marquer profondément. Mais il ne suffisait pas de gémir, il fallait apprendre et j’étais assoiffé de connaissances. […] Je gagnai alors l’Allemagne pour poursuivre et parachever en Occident – sous la conduite d’éminents professeurs – les études commencées en Orient. Je m’inscrivis à l’Université de Berlin.» L’intérêt de Muhammed Ali pour le coopératisme et sa position anticolonialiste s’est largement nourri de ses expériences berlinoises. En suivant les traces de plusieurs étudiants arabes au cours de nombreuses années d’intenses recherches dans les bibliothèques et les archives de Berlin, dans des lettres, annuaires et magazines, l’islamologue allemand Gerhard Höpp a invariablement abouti à Muhammed Ali. En 2001, deux ans avant sa mort, Höpp publia les résultats de ses investigations dans un ouvrage méticuleusement documenté et fertile en informations inédites. Cet ouvrage pionnier est aujourd’hui rendu public en Tunisie en langue française. L’étude de Höpp est assortie de documents relatifs à l’action de Muhammed Ali à Berlin dont la plupart sont ignorés jusqu’à présent. Outre les procès verbaux internes de l’Université, les immatriculations dans le registre d’inscription et les courriers du Ministère des Affaires Etrangères, l’ensemble comprend également un article de Muhammed Ali publié dans la revue Azadi i-Sharq, et une photo de lui avec un groupe de jeunes arabes lors de la création du Club d’Orient berlinois. 8 - Muhammed Ali à Berlin
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Nous remercions la maison d’édition Trafo (Berlin) pour l’aimable autorisation de réimpression et l’Université Humboldt de Berlin, le Ministère des Affaires Etrangères et le Centre de l’Orient Moderne à Berlin, pour la mise à disposition et l’autorisation de publication des documents présentés dans la partie commentaire de cet ouvrage. Nous remercions également l’Institut supérieur de l'histoire du mouvement national à Tunis de nous avoir fourni la monographie récente de Hfaïedh Tabbabi sur Muhammed Ali.
Joshua Rogers et Kathrin Wittler
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III. Etude de Gerhard Höpp: Muhammed Ali El Hammi à Berlin (1919-1924)
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Muhammad Ali El Hammi à Berlin (1919-1924) par Gerhard Höpp1 Le premier syndicat national tunisien, la Confédération Générale des Travailleurs Tunisiens (CGTT), a été fondé le 3 décembre 1924 à Tunis. Peu connu à cette époque, Muhammad Ali El Hammi en était le Secrétaire Général. Il demeure à ce jour méconnu. En dehors de la parution d’au moins deux monographies et de nombreux articles2 sur sa vie et son combat pour la cause des travailleurs tunisiens et celle du mouvement national, et faute de sources claires et incontestables, la vie de Muhammad Ali est soumise à des légendes et à des interprétations. La période qu’il a passée en exil, notamment en Allemagne, reste particulièrement inconnue. Eqbal Ahmad et Stuart Schaar, ses biographes, ne se méprennent pas en considérant cet état de fait comme «un premier témoignage de l’anonymat des travailleurs migrants en Europe»3. Néanmoins, ceci s’explique par le peu de recherches entreprises jusqu’ici. Il est par conséquent profitable d’éclairer, grâce à de nouvelles sources, le séjour de Muhammad Ali en Allemagne, dont seules les supputations de la plupart de ses biographes évoquent la dimension, alors que ce séjour est considéré comme «la plus importante étape de sa vie»4, autant pour lui-même que pour le mouvement syndical tunisien. Après avoir démenti les affabulations, il s’agira également de considérer le question de son compatriote et compagnon de route critique, Ahmed Ben Miled: «Comment a-t-il subsisté pendant cinq ans en Allemagne, du temps de la République de Weimar, de la détérioration du mark et de l’agitation communiste?»5. essai est paru la première fois sous le titre «…den Fragen der Raiffeisenorganisation zugewandt...». Der tunesische Gewerkschaftsführer Muhammad Ali al-Hammi und sein Aufenthalt in Berlin, 1919-1924. Dans: Beiträge zur Geschichte der Arbeiterbewegung 3 (2001), p. 87-98. Des compléments et références à des documents en annexe sont joints aux notes de bas de page entre crochets.
1Cet
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1. Tunis – Tripoli – Constantinople En premier lieu, quelques remarques sur la vie tout aussi opaque de Muhammed Ali avant l’exil. Il est probablement né dans une famille de paysans démunis d’El Hamma (d’où son surnom El Hammi, «celui qui vient d’El Hamma»), un village près de Gabès dans le sud de la Tunisie. L’année de sa naissance reste vague, variant entre 1890 et 18966. Au tournant du siècle, après le décès de sa mère, Muhammed Ali a été recueilli par une de ses sœurs à Tunis. Il y a fréquenté l’école coranique (kottab) et travaillé en tant que coursier et vendeur au marché central. Avant son départ de Tunis, il aurait été employé comme chauffeur par le consul autrichien, Muhammad Ali ayant été l’un des premiers tunisiens à avoir passé le permis de conduire en 1908, comme l’a découvert son biographe, Mohamed Boulhoula7. Bien que mises en doute par certains auteurs8, de nombreuses légendes entourent le fait de son emploi de chauffeur, considéré comme exceptionnel pour l’époque, de plus et, en temps d’occupation coloniale. En 1911, Ali aurait conduit un camion chargé de biens d’aide tunisienne à Tripoli, dont la population luttait contre la conquête du pays aux côtés des troupes ottomanes au moment de la guerre italo-turque de 1911/12. Il aurait ensuite accompagné à Constantinople Enver (1881-1922), le Ministre de la Guerre de l’Empire ottoman; et enfin ses compétences lui auraient permis de gagner sa vie en tant que mécanicien ou chauffeur9 en Allemagne, puis en Egypte et en Arabie Saoudite. 2Ahmad
Khalid: Muhammad Ali al-Hammi. Tunis 1968; Ahmed Ben Miled: M’hamed Ali. La naissance du mouvement ouvrier tunisien. Tunis 1984; Muhammed Ali Boulhoula: Muhammad Ali al-Hammi wa hawadith al ayyam. Tunis 1985; Eqbal Ahmad et Stuart Schaar: M’hamed Ali and the Tunisian Labour Movement. Dans: Race and Class 19 (1978), p. 253-276; les mêmes: M’hamed Ali et les fondements du mouvement syndical tunisien. Dans: Charles-André Julien (Ed.): Les Africains. Vol. 11, Paris 1978, p. 15-45; les mêmes: M’hamed Ali. Tunisian Labor Organizer. Dans: Edmund Burke III (Ed.): Struggle and Survival in the Modern Middle East. London, New York 1993, p. 191-204; H’ssouna El-Mosbahi: Bâthan an Muhammad Ali al-Hammi fi Berlin. Dans: Fikroun wa Fann 26 (1987), N° 46, p. 34-39. [Il existe entre temps deux autres monographies importantes: Hfaïedh Tabbabi: Muhammad Ali al-Hammi (1890-1928). Tunis 2005; Khemaïs El Abed: Mohamed Ali El Hammi et la France. La naissance de la CGT tunisienne 1924-1925. Le procès 1925. Tunis 2004.] 3Ahmad/Schaar: M’hamed Ali and the Tunisian Labour Movement, p. 254. 4Boulhoula: Muhammad Ali al-Hammi, p. 50. 5 Ben Miled: M’hamed Ali, p. 99.
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Une lettre de Muhammed Ali, découverte et publiée en 197710, semble accréditer la version selon laquelle il aurait quitté la Tunisie en 1911 ou 1912 pour Constantinople, d’où il aurait été envoyé à Tripoli, peut-être en tant que chauffeur d’Enver. Il convient de se souvenir qu’en 1911 et 1912, deux évènements ont ébranlé politiquement la Tunisie: l’affaire du Jellaz et le boycott du tramway, intensifiant les hostilités entre le mouvement national piloté par les Jeunes Tunisiens et l’administration coloniale – le pays étant sous protectorat français depuis 1881. Les représailles administratives consécutives à ces manifestations provoquèrent le départ d’un grand nombre de nationalistes tunisiens, dont une majorité rejoignit Constantinople, la métropole de l'Empire ottoman. Il est fort probable que parmi eux, Muhammed Ali se soit joint à ses compatriotes qui y vivaient depuis 190811, tels Salah Cherif Ettounsi (1869-1920) et Ismail Essafa’ihi (1856-1918). Ces deux savants religieux célèbres, à l’instar de leurs collègues Mohamed El Khidr Houssein (1876-1958) et le chef des Jeunes Tunisiens, Ali Bach Hamba (1879-1919), qui eux avaient quitté la Tunisie en 1912, faisaient partie de ces arabes (essentiellement maghrébins et égyptiens) dont l’ambition était de libérer leur pays de l’assujettissement à l’Europe avec l’aide de leur souverain nominal, l’Empire Ottoman, dans le cadre du panislamisme ou de la «guerre sainte» (Djihad). A cet égard, notamment après la révolution des Jeunes-Turcs de 1908, des organisations avaient été créées, comme les «services spéciaux» (Tashkilat-i mahsusa) et «la société islamique de bienfaisance» (al-djam’iyya al-khayriyya al-islamiyya), pour revendiquer par le biais du politique et de la propagande le droit de la Sublime Porte au monde islamique, remis en question par les puissances coloniales. 6Pour 1890: Boulhoula: Muhammad Ali al-Hammi, p. 14 [et Tabbabi: Muhammad Ali al-Hammi (1890-1928), p. 207]; pour 1894: Noureddine Sraieb: Note sur les dirigeants politiques et syndicalistes tunisiens de 1920 à 1934. Dans: Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée 9 (1971), p. 111 ; et Juliette Bessis: Les Fondateurs. Index biographique des cadres syndicalistes de la Tunisie coloniale. Paris 1985, p. 71; Pour 1896: Ben Miled: M’hamed Ali, p. 55; Eqbal/Schaar: M’hamed Ali. Tunisian Labor Organizer, p. 193.
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Certaines indications suggèrent que Muhammed Ali aurait approché à Constantinople ces milieux, notamment Chérif Ettounsi12et Ali Bach Hamba, figures influentes dans la machine de propagande panislamique des Jeunes-Turcs autour d’Enver. Il est plausible que ceux-ci l’aient envoyé à Tripoli, puis dans les Balkans pour une mission non précisée13. Cependant, il est peu vraisemblable qu’il ait collaboré pendant la Première Guerre Mondiale avec le déserteur algérien Rabah Boukabouya (l875-?), comme l’a affirmé ultérieurement une source française, pour rallier des prisonniers musulmans de l’armée de l’Entente à la cause du Djihad, contre les opposants de l’Empire Ottoman et des puissances de l’Europe centrale14.Il est également peu vraisemblable que Muhammad Ali, comme l’affirme Boulhoula, aurait rencontré à Genève en 1917 le chef du Parti national égyptien, Mohammed Farid (1868-1919)15. Dans le journal de Farid, un Mohamed est effectivement mentionné, qui n’est cependant pas Muhammed Ali El Hammi, mais un petit-fils d’Abdelkader (18081883)16, héros algérien qui combattit pour la liberté. 1934. Dans: Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée 9 (1971), p. 111 ; et Juliette Bessis: Les Fondateurs. Index biographique des cadres syndicalistes de la Tunisie coloniale. Paris 1985, p. 71; Pour 1896: Ben Miled: M’hamed Ali, p. 55; Eqbal/Schaar: M’hamed Ali. Tunisian Labor Organizer, p. 193. 7Cf. Boulhoula: Muhammad Ali al-Hammi, p. 21. 8C’est ce que fait notamment Ben Miled: M’hamed Ali, p. 57ff. 9Cette opinion initialement défendue par son allié au sein de la CGTT, Taher Haddad (Al-Umma al tunisiyyun wa zuhur al-haraka al-niqabiyya. Tunis 1927), a été reprise notamment par Eqbal/Schaar, Boulhoula ainsi que Mohamed Salah Lejri: Revolution du mouvement national tunisien des origines à la Deuxième Guerre Mondiale. Vol. 1, Tunis 1975, p. 256. 10 Ahmed Ben Miled: Aux origines du syndicalisme tunisien. Deux documents relatifs au séjour et aux activités de Muhammad Ali à la veille et au lendemain de la Grande Guerre. Dans: Les Cahiers de Tunisie 25 (1977), N° 97-98, p. 241. Cf. également Ahmed Ben Miled: Risalatan min Muhammad Ali al-Hammi. Dans: al-Fikr 1977, N° 5, p. 43. 11 Cf. Pierre Bardin: Algériens et Tunisiens dans l’Empire Ottoman de 1848 à 1914. Paris 1979, p. 190ff.; Andreas Tunger-Zanetti: La communication entre Tunis et Istanbul 18601913, province et métropole. Paris 1996, p. 138ff.; Mahmoud Abdelmoula: Le mouvement patriotique de libération en Tunisie et le panislamisme (1906-1920). Tunis 1999.
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Aussi modeste que fut le rôle de Muhammed Ali et bien que son nom n’apparaisse nulle part dans les dossiers et publications concernant des activités avant et pendant la Première Guerre Mondiale, ses relations avec l’appareil ottoman du pouvoir et de propagande devaient être assez étroites pour néanmoins lui permettre de se joindre aux Jeunes Turcs lors de leur fuite de Constantinople, après la capitulation de l’Empire Ottoman. En effet, lorsque Enver, Talât (1874-1921), le Ministre de l’Intérieur, Nazim (1870-1926), le Ministre de l’Education, et d’autres hauts fonctionnaires du Parti Unité et Progrès jusque là au pouvoir quittèrent secrètement la capitale le 3 novembre 1918 à bord d’un destroyer allemand, Muhammed Ali était parmi eux. Il les accompagna jusqu’à Berlin, à l’exception de Enver qui les avait quittés à Simferopol début 191917.
2. Muhammed Ali à Berlin Toujours est-il que Muhammed Ali n’est enregistré à Berlin que le 25 mai 1920. Ce jour-là, il est inscrit en tant qu’auditeur libre à l’Université Friedrich Wilhelm de Berlin. Il a été inscrit à quatre reprises18 , dont la dernière le 17 octobre 1921, avant de s’inscrire définitivement comme étudiant en Sciences économiques19 quelques semaines plus tard, le 7 novembre. On ne peut qu’imaginer jusque là ses faits et gestes à Berlin. Le fait qu’il soit inscrit sans aucune entrave, chose déjà rare pour un étranger, laisse supposer qu’il bénéficiait d’une protection. 12Cf.
Sraieb: Note sur les dirigeants, p. 112; Bessis: Les Fondateurs, p. 71. Cf. Ben Miled: M’hamed Ali, p. 61. 14 Cf. Boulhoula: Muhammad Ali al-Hammi, p. 109; concernant Boukabouya cf. Gerhard Höpp: Muslime in der Mark. Als Kriegsgefangene und Internierte in Wünsdorf und Zossen, 1914-1924. Berlin 1997, p. 71ff. 13
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Il était alors d’usage d’inscrire les étudiants étrangers, dépourvus du diplôme du baccalauréat allemand ou dénués de connaissances suffisantes de la langue allemande, seulement comme auditeurs libres ou pour une admission restreinte, c’est-à-dire pas plus de quatre semestres20. Comment et où Muhammed Ali, qui a tout de même suivi les cours durant trois semestres comme auditeur libre et cinq semestres en qualité d’étudiant, a-t-il acquis les connaissances nécessaires de la langue allemande et passé les examens pour accéder aux études supérieures? Cela n’est pas vérifiable. Etablir que l’on disposait de ressources financières suffisantes représentait la troisième et dernière condition pour accéder à l’enseignement supérieur allemand. Ce qui signifiait pour Muhammed Ali de devoir régler un montant double de frais universitaires et un montant triple de frais fixes21 selon la loi adoptée au printemps 1921 pour les étudiants étrangers. Que Muhammed Ali ait pu surmonter rapidement ces obstacles ne peut se concevoir que s’il appartenait à un cercle disposant d’influence et/ou à de disponibilités financières. Immédiatement après leur fuite, Enver, Talât et d’autres dirigeants Jeunes Turcs avaient entrepris la mise en place d’un réseau d’organisations panislamiques afin de poursuivre la lutte contre les anciens ennemis de guerre et les actuelles puissances d’occupation sous mandat de la Grande-Bretagne et de la France. Ils y réussirent, bien que recherchés par l’Entente22 15Cf.
Boulhoula: Muhammad Ali al-Hammi, p. 43. Arthur Goldschmidt, Jr. (Ed.): The Memoirs and Diaries of Muhammad Farid, an Egyptian Nationalist Leader (1868-1919). San Francisco 1992, p. 421. 17 Azade-Ayse Rorlich: Fellow Travellers. Enver Pasha and the Bolshevik Government 1918-1920. Dans: Asian Affairs 1982, N° 3, p. 288f.; Bundesarchiv Berlin (BArchB), Auswärtiges Amt (AA), Film 64631. 18Cf. Archiv der Humboldt-Universität zu Berlin (ArchHUB), Gastzuhörer 1920, 1921. 19Cf. ArchHUB, Matrikelbuch, Rektorat 112, N° 2577 [voir document A en annexe]. 16Cf.
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Ils furent secondés de diverses manières en Allemagne: les autorités firent en effet obstruction aux avis de recherches internationaux concernant leur participation aux crimes contre les Arméniens pendant la Première Guerre Mondiale23, ils obtinrent en particulier le soutien des milieux de la droite conservatrice autour du chef de la Reichswehr (armée de l’Empire allemand) Hans Seeckt (1866-1936), des ultranationalistes autour de Erich Ludendorff (1865-1937), ainsi que des sociaux-démocrates indépendants24; Karl Radek (1885-1939), auquel Enver et Talât avaient alors rendu visite dans sa cellule de prison à Moabit, les avait mis en relation avec l’Internationale communiste à Moscou25. Derrière cette étrange et certes très brève alliance des nationalistes, internationalistes socialistes et communistes, et enfin des nationalistes anticolonialistes allemands, existait une opposition commune aux puissances coloniales et impérialistes. C’est ainsi qu’en 1921, sous le titre «L’Orient et la Russie», le journal panislamique Liwa-el-Islam qui paraissait alors à Berlin, expliquait à ses lecteurs: «Certaines personnes ne sont pas à même de comprendre comment l’Orient et en particulier le monde islamique, parvient à montrer de la sympathie envers la Russie des Soviets. Au regard des préjudices que l’Entente a fait subir à la Turquie, il peut sembler naturel que le monde islamique considère la Russie des Soviets comme un allié [...]. Par sa politique criminelle envers le monde islamique, l’Angleterre a elle-même créé les conditions d’un formidable élan vers la Russie des Soviets, c’est-à-dire la sympathie islamique». D’autre part, le monde islamique est «dans le cadre du combat important qu’a entrepris la Russie des Soviets [...] un facteur à respecter». C’est pourquoi, selon le journal, la Russie Soviétique ne devrait pas «essayer de propager dans le monde islamique certains principes contraires à la tradition et la foi de l’Islam»26. Après avoir consulté Lénine et Tchitchérine, ainsi que des fonctionnaires de l’Internationale communiste, et après avoir participé au Congrès des peuples de l’Est à Bakou en 192027, Enver fonda depuis Moscou l’Union des sociétés islamiques révolutionnaires (Islâm Ihtilâl Cemiyetleri Ittihâdi)28.
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Ce réseau d’organisations panislamiques, dont les principaux secteurs d’activités se trouvaient en Allemagne et en Italie, s’étendait jusqu’au Moyen Orient et utilisait dans une large mesure d’anciens collaborateurs des «services spéciaux»; en Europe, l’Union travaillait en particulier avec la League of Oppressed Peoples d’Edwin Emerson et la Lega di Populi Oppressi opérant en Italie29. Le centre berlinois de l’Union30 fut le Club d’Orient (al-Nadi al-Sharqi) dans la Kalckreuthstraße, dirigé par le Syrien Shakib Arslan (1869-1946) et l’Egyptien Abd al-Aziz Shawish (18761929), deux nationalistes arabes avec qui Enver avait déjà collaboré durant la Première Guerre Mondiale. Le porte-parole du Club était la revue susmentionnée, Liwa-el-Islam31, publiée depuis mars 1921. Ainsi que l’attestent les documents32, la revue et le Club étaient financés par Enver depuis Moscou. Plusieurs indications indiquent l’étroite relation de Muhammed Ali avec l’Union33 et les probables avantages qu’il tirait de ses ressources financières. D’une part, le Club d’Orient aurait été créé à son domicile33; Muhammed Ali a habité de nombreux logements dans les beaux quartiers chics de Berlin Ouest, à Steglitz34 et à Wilmersdorf, y compris au numéro 17 de la Knausstraße, maison appartenant à son compagnon de fuite Nazim et dans laquelle Enver lui-même trouvait de temps en temps refuge35. D’autre part, entre 1921 et 1922, il était en contact avec la revue AzadiSharq de l’Iranien Abd al-Rahman Saif (l889-?), proche du mouvement panislamique et dont les objectifs étaient analogues à ceux de Liwa-el-lslam et de l’Union36. Sa proximité avec l’Union et ses ressources pourrait expliquer bien des choses, et résoudre par exemple les questions que se pose Ben Miled quant à l’accès aux études, leur financement et les moyens de subsistance de Muhammad Ali. Tout cela a continuer à être possible après l’assassinat de Talât en 1921, représentant d’Enver en Allemagne, même si Muhammed Ali a du alors s’installer à Berlin Est à Prenzlauer Berg, Berlin Mitte et Friedrichshain37. L’inflation lui a permis, comme à de nombreux autres étudiants étrangers, d’avoir des revenus suffisants en Allemagne. Seules deux lettres, que Muhammed Ali a écrites immédiatement après la mort d’Enver en octobre et en novembre 1922, à son cousin vivant à Paris, Ali Belgacem Chafféї (1891-1969), et dans lesquelles il demande un prêt d’un montant de 300 francs38,
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signalent des difficultés financières qui auraient pu découler en quelque sorte de la disparition soudaine des sources de financement de l’Union. Ce n’était donc sûrement pas un hasard que Muhammed Ali ait abandonné ses études et soit rentré dans son pays immédiatement après l’introduction du Rentenmark en Allemagne (monnaie de transition allemande, adoptée pour faire face à l’hyperinflation qui sévissait entre 1919 et 1923), c’est-à-dire à la fin de l’inflation. La mention «Unfleiß» (manque d’application) qui a justifié sa radiation de la liste des étudiants le 24 janvier 1924, pourrait s’expliquer par le fait que Muhammed Ali avait été contraint de gagner sa vie au cours de l’année précédente et que de ce fait, ne trouvait plus suffisamment de temps pour ses études. La supposition de certains de ses biographes, selon laquelle il aurait travaillé en Allemagne en tant que mécanicien, serait de la sorte tout à fait crédible40.
20Cf. Karl Remme: Das Studium der Ausländer und die Bewertung der ausländischen Zeugnisse. Berlin 1932, p. 50. Il a été envisagé, à un certain moment, de retirer la concession de l’admission courte. 21Cf. Geheimes Staatsarchiv Berlin (GStArchB), 1. Hauptabteilung, Rep. 77, Tit 46, N° 40, Vol. 1, feuille 154f. 22Cf. BArchB, Reichsverband der deutschen Hochschulen, N° 796, feuille 204. 23Cf. Liste des personnes accusées par l’Empire Britannique d’avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre à livrer par l’Allemagne en exécution des articles 228 à 230 du Traité de Versailles et du protocole du 28 juin 1919 dans: BArchB, Reichsjustizministerium, N° 22494/7690. 24Cf. BArchB, AA, N° 25184; également Film 4928, BL D55115ff. Les autorités allemandes ont été tenues au courant des activités d’Enver notamment par le journaliste Paul Weltz (1862-1939). Cf. BArchB, AA, Film 4927, feuille D551975ff.; Film 15251, feuille 451220ff. 25Cf. l’échange de courrier entre Enver et von Seeckt dans: BArchB, Nachlass Seeckt. Concernant les contacts d’Enver avec la USPD cf. idem: AA, Film 4927, feuille D551978. 26Cf. Karl Radek: Nojabr’. Stranicka iz vospominanij. Dans: Krasnaja Nov’ (1926) p. 164ff. 27Cf. Liwa-el-Islam 1 (1921), N° 2, p. 6f. 28Cf. G. Z. Sorkin: Pervyj s’ezd narodov Vostoka. Moscou 1961, p. 29f.; Stephen White: Communism and the East: The Baku Congress, 1920. Dans: Slavic Review 14 (1974), N° 3, p. 508f. 29Cf. Paul Dumont: La fascination du bolchévisme: Enver Pacha et le parti des Soviets populaires. Dans: Cahiers du Monde Russe et Soviétique 16 (1975), p. 147ff. La Charte se trouve dans: Kazim Karabekin Istiklal harbimizde. Enver Pasa ve Ittihat Terakki erkani. Istanbul 1967, p. 123ff; le procès verbal du 1er congrès dans: Ali Fuat Cebesoy: Moskova hatiralari. Istanbul 1955, p. 224f.
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Aucune information fiable n’est disponible quant à l’activité politique de Muhammed Ali à cette époque. Tandis que l’affirmation selon laquelle il aurait pris part à l’insurrection Spartacus41est probablement une légende, sa participation dans le réseau de l’Union panislamique peut être considérée comme sûre; elle l’aurait également mis en relation avec son compatriote Mohamed Bach Hamba (1881-1920), décédé et enterré à Berlin42. Il n’est pas possible de savoir si l’adhésion de Muhammad Ali dans le conseil d’administration de la «représentation des étudiants étrangers de l’Université Friedrich-Wilhelm», dans lequel il a été élu durant l’été 192143, a eu un rapport avec l’Union. La seule opinion politique de Muhammad Ali en Allemagne dont on ait un témoignage est un faire-part nécrologique critique qu’il a écrit sur Mohamed Naceur II, Bey de Tunis (reg. 1906-1922). Il l’a d’ailleurs signé sous le nom de «Muhammad El Destouri»44, voulant apparemment signaler par là sa sympathie pour le parti nationaliste destourien, créé deux ans auparavant en Tunisie.
Gerhard Höpp: Arabische und islamische Periodika in Berlin und Brandenburg. Berlin 1994, p. 25ff. 32Cf. Sevket Süreyya Aydemir: Makedonya’dan Ortaasya’ya Enver Pasa. Vol. 3. Ankara 1972, p. 55ff. 33[Cf. document M en annexe]; voir également Khalid: Muhammad Ali al-Hammi, p. 21. Selon d’autres données, le Club aurait été fondé au domicile de l’exilé iranien Hasan Abbas. 34Cf. Public Record Office, London (PRO), FO. 317/12515. 35En tant que sous-locataire au N° 51 de la Albrechtstraße, chez la veuve d’un architecte (Geheimer Baurat). 31Cf.
BArchB, AA, Film 15251, feuille. 451220. 37Cf. Höpp: Arabische und islamische Periodika, p. 27ff. 38[Cf. chapitre «Anticolonialisme à Berlin» en annexe]. Mohamed habitait alors au N° 152 de la Greifswalder Straße, au N° 36 de la Fischerstraße et au N° 94 de la Palisadenstraße chez M. Klatt [cf. la partie «Habiter à Berlin» de l’annexe pour la situation géographique et le milieu social de ses quartiers résidentiels]. 39Cf. Ben Miled: Aux origines du syndicalisme tunisien, p. 242. Dans son 1er courrier du 28 octobre Muhammed Ali a mentionné une personne «avec laquelle je sers» et qui «se trouve à quelques milliers de km, tant et si bien que je dois attendre quatre à cinq semaines pour recevoir une lettre d’elle». Il parlait d’Enver qui, en Asie centrale, menait une insurrection antisoviétique et qui était, à ce moment là, déjà mort. 36Cf.
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Nous en savons un peu plus sur ses études. D’après une affirmation très générale et insuffisamment documentée de l’historien tunisien Abdelbaki Hermassi, il aurait suivi les cours de Heinrich Cunow (1862-1936), Heinrich Herkner (1863-1932), Ignaz Jastrow (1856-1937), Max Sering (1857-1939) et Werner Sombart (1863-1941)45 . Entre 1921 et 1924, autrement dit durant la période d’études de Muhammed Ali, les susnommés proposaient les cours magistraux et travaux dirigés en sciences économiques suivants: Cunow «La conception marxiste de l’histoire», «Sociologie marxiste», «Histoire économique du communisme primitif à la coopérative de marché» et «Evolution des formes de systèmes économiques et de propriété pré capitalistes»; Herkner «Sciences financières», «Histoire de l’économie politique moderne» et «Sciences économiques pratiques: politique sociale»; Jastrow «Sciences économiques générales», «Sciences administratives générales» et «Sciences financières»; Sering «Sciences économiques pratiques: politique industrielle et agraire» et «Sciences économiques générales (théoriques)», et Sombart «Sciences économiques spéciales: théorie et histoire du capitalisme». La seule indication spécifique concernant les études de Muhammed Ali émane du diplomate allemand Hans Joachim von Bassewitz. ArchHUB, Matrikelbuch, Rektorat 112, N° 2577 [cf. document C en annexe]. 40Cf. Ahmad/Schaar: M’hamed Ali. Tunisian Labor Organizer, p. 195; Sraieb: Note sur les dirigeants, p. 112. 41Mustapha Kraiem: Nationalisme et syndicalisme en Tunisie 1918-1929. Tunis 1976, p. 534; Muhammed Ali. «Le père du syndicalisme tunisien». Dans: La Tunisie Economique 1980, N° 50, p. 39. 42Cf. Khalid: Muhammad Ali al-Hammi, p. 21; Sraieb: Note sur les dirigeants, p. 112 ; Habib El-Djanhani: Mohammed Bach Hamba Tunis 1968, p. 45ff. Le frère d’Ali Bach Hamba habitait à l’époque au N° 146 du Kurfürstendamm. 43Cf. Berliner Hochschulnachrichten 3 (1921), N° 6, p. 71 [cf. document E de l’annexe]. 39Cf.
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Le 2 Mars 1925, il avait communiqué à son supérieur hiérarchique, Herbert von Richthofen, que Muhammed Ali aurait «pour autant que j’ai pu constater, [...] porté son intérêt en particulier sur les questions de l’organisation de coopératives rurales ‘Raiffeisen’»46. Cela voudrait dire qu’il a du aussi, et surtout, avoir suivi les cours d’August Müller (18731946), dont les cours magistraux à l’époque s’intitulaient «Théorie et pratique de la coopérative économique en particulier en Allemagne» et «Le système allemand de coopératives agricoles»47. Les premiers efforts politiques de Muhammed Ali dans son pays confirment absolument, comme nous le verrons plus tard, la supposition de Bassewitz. A son retour au pays natal en mars 1924, après plus d’une dizaine d’années d’exil, Muhammed Ali avait, en plus d’une certaine connaissance du monde – il en a tout de même visité une bonne partie et il a appris, en plus de l’arabe et du français, le turc et l’allemand – une expérience pratique en politique anticolonialiste et un savoir en sciences économiques, en histoire économique et en ce qui concerne le mouvement coopératif en Allemagne. Qu’il ait eu aussi, comme certains biographes le prétendent48, une perception approfondie du mouvement ouvrier allemand, reste en dépit d’une activité temporaire encore à prouver.
44Wafat
bay Tunis. Dans: Azadi-e Sharq 2 (1922), N° 20/21, p. 9 [cf. document L de l’annexe]. 45Cit. dans Kraiem: Nationalisme et syndicalisme, p. 535. 46Cf. BarchB, AA, Film 43461, feuille. L318301 [cf. document N en annexe]. 47Cf. Friedrich-Wilhelms-Universität zu Berlin, Verzeichnis der Vorlesungen, Wintersemester 1921 [cf. document F de l’annexe]. 48Cf. Ahmad/Schaar: M’hamed Ali. Tunisian Labor Organizer, p. 195; Werner Ruf: Gewerkschaften im Maghreb. UGTT, UMT, UGTA. Hannover 1962, p. 21. 49Cf. Kraiem: Nationalisme et syndicalisme, p. 535. Le prétendu diplôme de Mohamed, dont a initialement fait mention Haddad et qu’il aurait obtenu le 22 février 1924 à Berlin, ainsi que son prétendu doctorat, dont a fait pour la première fois mention le Premier Ministre français Edouard Herriot (cf. Renseignements Coloniaux 2/1925, p. 61) sont jusqu’à ce jour objets de discussions controversées. Cf. Boulhoula: Muhammad Ali al-Hammi, p. 189ff; Ben Miled: M’hamed Ali, p. 61f; Ahmad/Schaar: M’hamed Ali. Tunisian Labor Organizer, p. 195f. [Il est très improbable que Muhammad Ali ait reçu un diplôme ou un titre de docteur, cf. la partie «Muhammad Ali à l’Université de Berlin» en annexe].
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Compte tenu de cela et de ses études interrompues, l’historien tunisien Mustapha Kraiem ne désavantage certainement pas Muhammad Ali en le qualifiant d’autodidacte49.
3. Retour en Tunisie La publicité pour la mise en place de sociétés coopératives de production et de consommation faisait partie des premières activités politiques de Muhammad Ali en Tunisie, où il s’était déjà rendu pendant les vacances semestrielles de 1923. Comme indiqué plus haut, il avait ramené cette idée d’Allemagne. Pour lui, elle contenait en quelque sorte le projet d’une alternative à l’économie coloniale: étant donné que dans la Tunisie sousdéveloppée de l’époque, la lutte des classes ne semblait pas être, selon lui et un grand nombre de nationalistes, une option viable en vue de l’amélioration de la situation misérable et défavorisée des travailleurs locaux, les coopératives de production et de consommation semblaient offrir la seule possibilité réaliste de développement matériel, culturel et moral au sein d’une «nation largement exploitée»50. Il soutenait ainsi des opinions réformatrices sociales, qui seraient diffusées plus tard dans d’autres pays coloniaux et dépendants, dont l’Egypte, et y avaient été reprises et mises en œuvre aussi bien par des organisations politico-religieuses que socialistes51. Avec l’appui d’un petit groupe de Jeunes Tunisiens enthousiastes, parmi lesquels des partisans du Parti Destourien, Muhammad Ali s’est d’abord attelé à l’élaboration d’un programme d’une coopérative d’achat, qui devait préserver les travailleurs des spéculateurs et usuriers. Le 29 juin 1924, les participants au projet, parmi lesquels Taher Haddad (18991935), Taher Sfar et Taoufik El Madani (1898-?), se sont réunis dans la Khaldouniya et ont accepté les statuts de cette coopérative52 . Un mois plus tard, le Comité de Gestion était élu, et Muhammad Ali en était le président53. Ni lui ni ses amis n’ont cependant eu le temps de prouver la faisabilité et l’utilité de ce projet de réforme: la grève des dockers à Tunis et à Bizerte au mois d’août devait changer de manière déterminante le destin personnel et politique de Muhammad Ali. Pour obtenir le même salaire que leurs
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collègues français, les ouvriers portuaires tunisiens firent grève. Quand le syndicat socialiste (Confédération Générale du Travail – CGT54) est intervenu en vue d’une modération, des comités de grève indépendants se sont mis en place parmi les dockers autochtones. Par conviction Muhammed Ali et ses coopérateurs n’eurent pas d’autre choix que de soutenir, conjointement avec le parti national destourien et le syndicat communiste (la Confédération Générale du Travail Unifiée – CGTU55), les dockers qui faisaient d’ailleurs partie des premiers membres de leur coopérative. Cela déclencha une radicalisation politique des réformateurs sociaux qui a finalement abouti à ce que le groupe autour de Muhammad Ali reprenne la revendication des grévistes et de leurs sympathisants: la création de syndicats exclusifs, ayant la capacité et la volonté «de défendre les revendications des travailleurs autochtones, marginalisés dans la Centrale tolérée [de la CGT]»56.
2/1925, p. 61) sont jusqu’à ce jour objets de discussions controversées. Cf. Boulhoula: Muhammad Ali al-Hammi, p. 189ff; Ben Miled: M’hamed Ali, p. 61f; Ahmad/Schaar: M’hamed Ali. Tunisian Labor Organizer, p. 195f. [Il est très improbable que Muhammad Ali ait reçu un diplôme ou un titre de docteur, cf. la partie «Muhammad Ali à l’Université de Berlin» en annexe]. 50Cf. Kraiem: Nationalisme et syndicalisme, p. 530ff.; Khalid: Mohamed Ali El-Hammi, p.29f.; N. A. Ivanov: Vozniknovenie nacional’nogo rabocego dvizenija v Tunise (19241925). Dans: Narody Azii i Afriki 1966, N° 2, p. 51. 51L’égyptien Yahya Ahmad al-Dardiri (1889-1956), qui étudiait également au début des années 20 à l’Université de Berlin, a introduit l’idée de coopérative dans le programme de «l’Union de la Jeunesse Musulmane», précurseur des «frères musulmans» et dont il a été le cofondateur en 1927; cf. son Kitab al-ta’awun, le Caire 1926. Son compatriote, Isam al-Din Hifni Nasif (1899-1969) l’a intégrée dans son projet de réforme socialiste; cf. son al-Mas’ala al-ishtirakiyya, Le Caire 1933. Plus à ce sujet chez Gerhard Höpp: Traditionen der ägyptischen Revolution. Ägyptische Nationalisten in Deutschland, 1920-1925. Dans: Wolfgang Schwanitz (Ed.): Berlin-Le Caire: Damals und heute. Zur Geschichte der deutsch-ägyptischen Beziehungen. Berlin 1991, p. 73f. 52La Khaldouniyya était un forum de Tunisiens nationalistes crée en 1896. 53Cf. Ben Miled: M’hamed Ali, p. 68ff.; Boulhoula: Muhammad Ali al-Hammi, p. 59ff. 53La Confédération Générale du Travail (CGT) française, active en Tunisie depuis 1919, était dirigée par Joachim Durel et André Duran-Angliviel.
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Après que le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux (1879-1954), ait vainement essayé de convaincre au mois d’octobre Muhammed Ali et ses amis d’abandonner ce projet «séparatiste» en invoquant la nécessité de l’unité syndicale, le 3 décembre 1924, la Confédération Générale des Travailleurs Tunisiens (CGTT) a été créée et Muhammed Ali en a été élu le Secrétaire général57. Pour ce coopérateur, cette étape ne signifiait en aucune manière une rupture avec ses convictions et projets socio-réformistes. Au contraire, la création d’une centrale syndicale nationale tunisienne lui paraissait comme une conséquence de son mouvement coopératif, dans la mesure où cette dernière serait encore plus en mesure de réaliser «le rehaussement social global de toute la nation58». D’ailleurs, cette idée de coopérative ramenée d’Allemagne fait depuis partie des «fondamentaux idéologiques du syndicalisme tunisien»59. A nouveau il restait peu de temps aux protagonistes. Le premier congrès de la CGTT, le 19 janvier 1925, qui a notamment enregistré une affluence importante de divers syndicats60, a coïncidé avec une grève de la cimenterie de Hammam-Lif, à laquelle s’est jointe quelques jours plus tard, une révolte des travailleurs agraires et de la carrière du Domaine de Potinville. La CGTT a soutenu ces deux conflits sociaux et ainsi attiré sur elle la colère et la répression des autorités coloniales françaises. Le 29 janvier 1925, le Premier ministre français, Edouard Herriot, a annoncé à l’Assemblée Nationale des sanctions à l’encontre de la CGTT et de ses fonctionnaires, notamment Muhammed Ali, qu’il accusait d’être à la solde des Allemands et des communistes61. Une semaine plus tard, le 5 février, Muhammed Ali, Ayyari et Finidori, dont le Parti communiste avait soutenu la CGTT, ont été arrêtés. Peu après, ils ont été rejoints par les syndicalistes Ghannouchi, Kabbadi et Ali Karoui (1900-?). Suite à la découverte d’une quarantaine de livres allemands dans l’appartement de Muhammed Ali62 , celui-ci a également été accusé d’espionnage. Les anciens partenaires socialistes et nationalistes, notamment le Parti Destourien, se sont alors détournés de la CGTT63. En Allemagne, ces évènements ont été suivis de très près, probablement à la suite de la mention d’Herriot du séjour de Muhammed Ali dans le Reich.
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Cette mention ainsi que la nouvelle de son arrestation ont déclenché des recherches au Ministère des Affaires étrangères, qui au début du mois de mars 1925, auraient conduit von Bassewitz à l’affirmation que «selon le professeur Kampfmeyer»64, Muhammed Ali était «un homme réfléchi qui ne se mêle à aucune agitation politique extrémiste». Un «frère» à lui vivant à Paris65, les Français étaient assez bien informés sur l’exil de Muhammed Ali en Allemagne, mais pour des motifs évidents, ont énormément exagéré son rôle parmi les émigrants arabes et musulmans. En témoigne notamment un document daté du 13 février 1925, qui signale qu’il passait «selon une source allemande» pour «un individu dangereux» appartenant à un «certain milieu berlinois». La mention des nom et adresse de son cousin Chafféї à Paris laisse penser que le courrier de ce dernier ou celui de Muhammad Ali était à l’époque sous surveillance. Le document était signé par Paul Tirard, Haut-commissaire de France dans la partie occupée de Rhénanie qui, déjà en 1922, avait rendu compte d’activités panislamiques en Allemagne en dramatisant leur dangerosité pour son pays et pour le Royaume-Uni66.
55La
Confédération Générale du Travail Unifiée (CGTU) s’était en 1921 séparée de la CGT et était dirigée en Tunisie par Robert Louzon et Jean-Paul Finidori. 56Bessis: Les Fondateurs, p. 71. 57Ibrahim Ibn Oumar était son adjoint, Mohamed Kaddour le trésorier et Bechir El Jouri le trésorier adjoint. Mokhtar Ayyari (1887-?), Mahmoud Kabbadi, Mohamed Ghannouchi (1885-?), Tahir Haddad et Bachir Falih étaient les propagandistes. Ahmed Dour’i, Mohamed Khiari, Tahir Aajam et Mohamed Dakhlaoui étaient les controleurs. Cf. Boulhoula: Muhammad Ali al-Hammi, p. 83. 58Cf. Kraiem, Nationalisme et syndicalisme, p. 533. 59Cf. idem, p. 526; Ahmad/Schaar: M’hamed Ali and the Tunisian Labour Movement, p. 266. 60Cf. Kraiem: Nationalisme et syndicalisme, p. 559f. 61Cf. Le communisme et l’Afrique du Nord. La Tunisie et le Maroc devant la Chambre des Députés. Dans: Renseignements Coloniaux 1925, N° 2, p. 61. 62Cf. Ahmad/Schaar: M’hamed Ali. Tunisian Labor Organizer, p. 203. Les livres suivants étaient peut être parmi ceux-ci: August Müller: Das deutsche Genossenschaftswesen. Berlin 1922; Sydney Webb/Beatrice Webb: Die genossenschaftliche Gemeinwirtschaft. Übersetzt von August Müller. Berlin 1924; V. Totomianz: Anthologie
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Le reste de l’histoire est vite raconté: entre le 12 et le 17 novembre 1925 s’est déroulé à Tunis le procès de Muhammed Ali et de ses amis, au cours duquel son séjour en Allemagne lui a également été reproché. Le 26 novembre, Muhammed Ali, Ayyari et Finidori ont été condamnés à dix ans d’exil, Kabbadi et Karoui à cinq ans. Cela a alors entraîné la dissolution de la CGTT, ses membres rejoignant (à nouveau) la CGT. Après la tentative avortée d’une nouvelle création en 1936, les travailleurs tunisiens n’ont renoué qu’en 1946 avec cette première tentative de création d’une centrale syndicale nationale et c’est sous Farhat Hached (1914-1952) qu’a été fondée l’actuelle Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT), qui se réclame également de l’héritage socio-réformiste de Muhammed Ali67. Le syndicaliste banni a du à nouveau voyager. On peut reconstituer le trajet de Muhammed Ali de manière plus ou moins fiable jusqu’à la ville d’Alexandrie en Egypte, qu’il a atteinte en mars 1926. Sa trace se perd ensuite, donnant lieu à des thèses fantaisistes: certains auteurs pensent qu’il est mort au Caire, d’autres croient qu’il est mort au Hedjaz.
63des Genossenschaftswesens. Vorwort von Charles Gide, Schlußwort von Wer¬ner Sombart. Berlin 1922; Heinrich Herkner: Die Arbeiterfrage. Berlin 1921ff.; Heinrich Cunow: Die Marxsche Geschichts-, Gesellschafts- und Staatstheorie. Berlin 1923. Cf. Ahmad/Schaar: M’hamed Ali and the Tunisian Labour Movement, p. 273. 64Georg Kampffmeyer (1864-1936) sympathisait avec le mouvement nationaliste arabe et soutenait un grand nombre d’émigrants. Cf. Gerhard Höpp: Orientalist mit Konsequenz. Georg Kampffmeyer und die Muslime. Dans: Rainer Flasche u.a. (Ed.): Religionswissenschaft in Konsequenz. Beiträge im Anschluss an Impulse von Kurt Rudolph. Hamburg 2000, p. 374-347 [cf. également les documents N et O du Ministère des Affaires étrangères en annexe]. 65Ce n’était pas le frère mais le cousin. Cf. BArchB, AA, Film 43461, feuille L318301; Cf. également feuille L318291 et L318294. 66Cf. Boulhoula: Muhammad Ali al-Hammi, p. 171. Tirard avait à l’époque mis en garde contre la revue paraissant à Berlin Azadi-e-Sharq à laquelle Mohamed était lié de près. Cf. PRO, F.O. 371/7558. 67Cf. Habib Bourguiba: Syndicalisme tunisien de M’hamed Ali à Ferhat Hached. Dans: Habib Bourguiba: La Tunisie et la France. Tunis 1954, p. 385. August Müller. Berlin 1924; V. Totomianz: Anthologie
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Dans chaque variante, la voiture joue un rôle important: en Egypte, il aurait de nouveau travaillé comme chauffeur et en Arabie, il aurait, selon la version courante de son décès, trouvé la mort le 10 mai 1928 dans un accident de voiture entre Djedda et La Mecque, où il aurait finalement été enterré. Quoi qu’il en soit, le 6 avril 1968, d’éminents représentants du gouvernement tunisien en ont rapporté une symbolique poignée de sable qu’ils ont disper68 sée dans un cimetière de Gafsa .
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IV. Documents annexes De Joshua Rogers et Kathrin Wittler
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1. Muhammed Ali à l’Université de Berlin
A. Inscription de Muhammad Ali dans le registre d’inscription de l’Université de Berlin
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Muhammad Ali à l’Université de Berlin
Muhammed Ali a été enregistré à l’Université de Berlin le 7 novembre 1921 sur cette feuille d’inscription manuscrite (quatrième du bas) sous le matricule 2577, après avoir été, quatre semestres durant, inscrit en tant qu’auditeur libre. Comme lieu de naissance, il a indiqué «Tunis / Turquie», sous profession des parents «agriculteurs».
B. Registre officiel des étudiants de l’Université de Berlin, semestre d’hiver 1921/1922
Dans les registres officiels de l’université, tous les étudiants sont mentionnés avec leur matricule, nom, pays d’origine, discipline et adresse à Berlin. Du semestre d’hiver 1921/1922 au semestre d’été 1922, l’adresse de Muhammad Ali est au 36 Fischerstraße, puis du semestre d’hiver 1922/1923 au semestre d’hiver 1923/1924, il est mentionné 94 Palisadenstraße. Et, de même que dans l’inscription manuscrite du registre des inscriptions, la Turquie est mentionnée comme pays d’origine. Avant son inscription du 7 novembre 1921, Muhammad Ali apparaît quatre fois dans les listes manuscrites des auditeurs libres: il s’est inscrit pour la première fois le 25 mai 1920 comme auditeur libre, puis à nouveau le 26 octobre 1920, ainsi que le 4 mai 1921. Le 17 octobre 1921, deux semaines avant son immatriculation en tant qu’étudiant, il s’est inscrit une dernière fois comme auditeur libre.
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Muhammad Ali à l’Université de Berlin
C. Registre de rectorat
En date du 24 janvier 1924, le registre du rectorat mentionne que Muhammed Ali a quitté l’Université. La mention «Unfl.» (manque d’application) indique que Muhammed Ali a quitté l’université sans diplôme mais ne laisse absolument pas conclure à de la paresse: selon le directeur des Archives de l’Université, la mention «par manque d’application» était une formule standard. Il est très improbable que Muhammed Ali ait reçu un diplôme ou un titre de docteur.
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2. Situation des étudiants étrangers
D.
Extrait du procès-verbal de la première Assemblée des représentants des
étudiants étrangers du 19 février 1921
Encore auditeur libre, Muhammed Ali a été élu membre de la représentation des étudiants étrangers de l’Université de Berlin nouvellement créée. Ensemble avec un étudiant bulgare du nom de Stribny, il a été détaché en tant que membre «du tribunal arbitral en création pour le règlement de litiges entre étudiants nationaux et étrangers».
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Situation des étudiants étrangers
E. Berliner Hochschulnachrichten (1921)
Déjà en juin 1921, Muhammed Ali est élu dans le comité directeur de la représentation des étrangers: «Voici les résultats des élections du comité directeur de la représentation des étrangers: Hilfstein (Amérique), Palagni (Hongrie), Mohamed Ali (Turquie), Johansson (Suède) en tant que secrétaire». Après la fin de la Première Guerre Mondiale et de l’effondrement de l’Empire Ottoman, à partir de 1920, un nombre croissant de jeunes Arabes d’Egypte, puis de Syrie, de Jordanie et d’Irak, afflue à Berlin pour y étudier.
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Situation des étudiants étrangers Le choix de l’Allemagne était d’une part motivé par des raisons matérielles: Berlin offrait des conditions de vie favorables1aux étudiants munis de devises dans les années d’inflation jusqu’à la fin de 1923 ; d’autre part, la plupart des Arabes venus à Berlin considéraient les Allemands, humiliés par le traité de Versailles, comme alliés dans leurs efforts d’indépendance du Royaume-Uni et de la domination coloniale française dans leur pays d’origine. A de nombreux égards Muhammed Ali a été membre actif de cette mouvance d’étudiants anticolonialistes arabes à Berlin et s’est engagé comme membre du comité directeur des étudiants étrangers également en ce qui concerne la politique des écoles supérieures. Cet engagement, y compris l’élection de Muhammed Ali dans le «tribunal de règlement des litiges entre étudiants nationaux et étrangers», impliquait aussi une confrontation des étrangers à l’hostilité de certains étudiants allemands. Les conditions financières des étudiants étrangers se sont dégradées au début de l’année 1924 avec la fin de l’inflation; c’est exactement à ce moment là que Muhammed Ali a interrompu ses études et est retourné en Tunisie. La situation financière difficile de beaucoup d’étudiants étrangers, même avant 1924, ressort des lettres de Muhammed Ali à son cousin ainsi que dans l’appel, reproduit ici, de la représentation des étudiants étrangers dans Berliner Hochschulnachrichten (Les nouvelles de l’enseignement supérieur de Berlin) de 1921, dans lequel les «étudiants étrangers, qui en raison de leur situation économique croyaient avoir droit à une assistance ou en bénéficiaient déjà, sont encouragés à faire une demande de soutien financier».
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3. Etudes des sciences économiques
F. Extraits du registre des cours de l’Université de Berlin pour le semestre d’été 1921
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Etudes des sciences économiques Dans un discours prononcé le 29 Juin 1924 à Tunis, Muhammed Ali explique ce qui l’a motivé à étudier les sciences économiques: «Je compris que les autres nations n’ont progressé et n’ont atteint le niveau éblouissant qui est le leur que grâce à l’intérêt accordé à l’agriculture, à l’artisanat et au commerce. Or, ces différentes activités constituent l’objet essentiel des sciences économiques. Je m’adonnai donc à ces sciences, m’y consacrant entièrement et exclusivement. Plus j’approfondissais mes études en économie et en perçais les secrets, plus j’étais convaincu de la noblesse de cette science, car la création, la répartition, la transmission et l’emploi des richesses reposent sur des lois d’ordre économique.»2 L’Université de Berlin offrait, au cours des premières années de la République de Weimar, des conditions particulièrement favorables pour comprendre ces «lois d’ordre économique». La nomination dans les années 1919 et 1922 d’un certain nombre de professeurs de gauche a complètement modifié le profil de la Faculté. Avant leur nomination, Heinrich Cunow, Paul Lensch, August Müller et Gustav Mayer, étaient tous membres actifs du Parti Social-Démocrate d’Allemagne (SPD) et ont élargi l’offre pédagogique d’agroéconomie, d’économie politique et statistique de l’Université Friedrich-Wilhelm en accordant une attention particulière aux questions de politique sociale et aux mouvements ouvriers. Muhammed Ali semble avoir été très influencé tout particulièrement par les cours d’August Müller (1873-1946) .3. Tout comme Muhammed Ali, Müller était issu d’un milieu pauvre. Après l’école primaire, il a appris le métier de serrurier et de jardinier, puis a adhéré en 1894 au Parti Social Démocrate (SPD). Dans ses heures de loisirs, il a suivi une formation continue et a été très actif au sein du mouvement syndical. A partir de 1898, il a travaillé dans un journal proche du SPD, ce qui lui a valu plusieurs peines de détention pour violation des règles de censure. En 1904, Müller a passé sa thèse de doctorat avec Heinrich Herkner à Zurich sur le thème «secrétariats ouvriers et assurances des travailleurs en Allemagne». Sous l’influence de Herkner, Müller prôna de plus en plus des réformes sociales et se positionna dans l’aile droite du SPD.
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Etudes des sciences économiques
Pendant la première Guerre Mondiale, Müller a été membre du conseil d’administration du Kriegsernährungsamt (Ministère de l’alimentation) et le premier socio-démocrate au Gouvernement. Au sein du Gouvernement de Friedrich Ebert, Müller a assumé une fonction de direction au Reichswirtschaftsamt (Ministère de l’Economie du Reich). En août 1920, il a été nommé professeur à l’Université de Berlin. En 1925, Müller a quitté le SPD et a rejoint le Parti Démocrate Allemand (DDP) libéral de gauche. Müller préconisait une «politique continentale orientée vers l’Est, se donnant pour objectif d’associer la reconstruction de l’Allemagne au Proche et Extrême-Orient .»4 Cette conviction peut avoir été à l’origine des nombreux déplacements de Müller, dont notamment un voyage d’étude en 1923 au Moyen-Orient. Müller s’est certainement imposé à Muhammed Ali en tant qu’expert en coopératives. Dans le cadre des cours magistraux telles que «Le système allemand de coopératives» (semestre d’été 1921), il essayait de convaincre les étudiants de «l’importance actuelle et future des coopératives».5. Dans ses écrits, Müller décrit le mouvement coopératif allemand comme «le plus fort, plus polyvalent et plus important mouvement du monde»6 et expose la diversité des fonctions de politique sociale des coopératives. D’après lui, elles remplissent en premier lieu une fonction émancipatrice, dans la mesure où le travailleur, en étant membre de la coopérative et acheteur, devient sujet économique. En second lieu, la coopérative remplit une fonction de satisfaction des besoins, en renforçant le pouvoir d’achat des ouvriers, et, enfin, une fonction pédagogique, qui – et là apparaît l’aspect socio-réformateur dans l’œuvre de Müller – montre au travailleur, entrepreneur en coopération, les contraintes économiques auxquelles les entrepreneurs sont confrontés.
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4. Habiter à Berlin
G. Plan de Berlin dans les années 1920
Lorsqu’il s’est inscrit pour la première fois dans le registre des auditeurs libres, Muhammad Ali habitait au N° 51 de la Albrechtstraße à Berlin-Steglitz, un quartier bourgeois de Berlin à ce jour. L’annuaire de Berlin indique comme résidents de cette villa un Monsieur de la Croix et un Monsieur Fuchs, tous deux commerçants. Il est probable que Muhammed Ali ait habité en tant que sous-locataire chez une de ces deux personnes. Lors de sa deuxième inscription, le 26 octobre 1920, Muhammad Ali a indiqué comme adresse le N° 17 de la Knausstraße à Berlin-Grunewald. Il résidait donc dans un quartier construit à la fin du 19e siècle comme quartier de villas où habitaient, d’après l’annuaire, des propriétaires d’usine, des fonctionnaires et d’autres représentants de la haute bourgeoisie.
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Habiter à Berlin Comme le fait remarquer Höpp, la maison dans la Knausstraße appartenait, selon l’annuaire de Berlin de 1919 à 1920, au Docteur Nazim Bey, un des proches alliés d’Enver et Talât, et a servi temporairement de logement à Enver. Que Muhammed Ali y ait, du moins pendant un certain temps, également vécu semble témoigner de ses bons contacts avec ce cercle. Lorsqu’en mars 1921 le présumé bailleur de fonds de Muhammed Ali, Talât, a été assassiné et que le contact avec Enver devint de plus en plus difficile, Muhammed Ali a emménagé dans le quartier moins cher de Prenzlauer Tor (aujourd’hui quartier de Prenzlauer Berg) au N° 152 de la Greifswalder Straße. Il est possible qu’après le décès de Talât et d’Enver les institutions qu’ils avaient mises en place aient, du moins pendant un certain temps, continué à soutenir Muhammed Ali financièrement. Par ailleurs, l’hypothèse de nombreux chercheurs s’intéressant à Muhammed Ali, selon laquelle il aurait travaillé comme mécanicien dans une usine, semble tout à fait plausible. Contrairement à ce que prétend Ahmed Ben Miled, il pourrait également s’agir d’une usine d’aviation, car pour la seule année 1923, huit usines sont listées dans l’annuaire de Berlin sous le secteur de l’aéronautique. Après son inscription définitive en octobre 1921, Muhammed Ali a habité, durant près d’un an, au numéro 36 de la Fischerstraße (qui n’existe plus aujourd’hui) sur la rive sud de l’île des musées, un quartier du centre de Berlin près de l’université, marqué par le milieu ouvrier. La carte postale ci-contre illustre une bifurcation de la Fischerstraße en direction de l’est, avec vue sur la Stadthausturm. Enfin, Muhammed Ali a résidé, au plus tard à partir de sa réinscription pour le semestre d’hiver en octobre 1922 jusqu’à son retour en Tunisie, au 94 Palisadenstraße, à Friedrichshain, un quartier de la petite bourgeoisie. H. Carte postale de 1927. Une bifurcation de la Fischerstraße
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Habiter à Berlin
I. Extrait de l’annuaire de Berlin de 1923
Dans sa lettre du 28 octobre 1922 à son cousin Ali Belgacem Chafféї, Muhammed Ali indique comme adresse le «94 Palisadenstraße c/o [bei] Klatt». L’annuaire mentionne pour cette période une madame Klatt en tant que «personne privée» qui sous-loue son appartement à Muhammed Ali. Les conditions de vie de ce dernier étaient donc caractéristiques de celles des nombreux étudiants de cette période, qui habitaient en sous-location - le plus souvent chez des femmes seules que la Première Guerre Mondiale avait plongées dans le veuvage.
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5. Anticolonialisme à Berlin
J. Couverture de la revue Azadi-i Sharq (1922)
Au cours de sa période berlinoise, Muhammed Ali côtoyait les milieux panislamiques et pan-orientalistes. L’orientation anticolonialiste et socialiste qui a marqué un grand nombre de jeunes Arabes à Berlin est particulièrement nette dans la revue multilingue Azadi-i Sharq (Liberté de l’Orient). L’objectif manifeste de la revue, formulé dans son premier numéro du 31 mai 1921, est la «participation à la libération des peuples de l’Est des chaines de l’esclavage, la lutte contre toutes les aspirations impérialistes, la contribution au renforcement économique et industriel et à la promotion intellectuelle de tous les peuples d’Orient».7. Les autorités allemandes ont évalué les tendances politiques de la revue de manière plutôt critique, d’autant plus que leur diffusion en Orient a entrainé des désaccords sur le plan diplomatique entre l’Allemagne et le Royaume-Uni.8. Un autre appel, paru dans la première édition de la revue Azadi-i Sharq, donne un aperçu de la portée tant linguistique que thématique du journal: «Nous acceptons et publierons avec grand plaisir des articles intéressants pour le grand public sur la sainte doctrine socialiste, le réveil des frères orientaux, la transmission de messages impartiaux sur l’Est à l’Ouest et sur l’Ouest à l’Est, en particulier sur les progrès réalisés dans l’industrie et l’enseignement en Europe, les succès du regroupement de chaque catégorie de l’artisanat et du secteur de la santé ainsi que tout particulièrement sur les droits des femmes et des travailleurs et similaires, aussi bien en allemand que dans une des langues orientales».9.
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Anticolonialisme à Berlin
K. Lettre de Muhammed Ali à son cousin Ali Belgacem Chafféї, 30 novembre 1922
Le papier à lettres, avec l’en-tête de la revue, que Muhammed Ali a utilisé pour cette lettre à son cousin Chafféї, témoigne de ses liens avec Azadi-i Sharq .10 .
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L. Nécrologie du Bey de Tunis dans la revue Azadi-i Sharq (1922)
Ce texte, signé avec le pseudonyme de «Mohammed El Destouri», a probablement été écrit par Muhammed Ali.
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Au sujet du décès du bey de Tunis Les évènements du Royaume Tunisien se sont déclenchés suite à l’annonce du décès de son prince, le dénommé «bey». C’est pourquoi je pensais qu’il serait utile de présenter aux lecteurs du journal très apprécié «Azadi-i Sharq» quelques vérités historiques concernant ce chef de l’un des royaumes islamiques en voie du développement qui revendique ses droits usurpés par l’État colonialiste et militariste français. Combien de fois déjà, a-t-on entendu cet État répéter des expressions qui ont perdu de leur crédibilité à présent, de même que ses deux emblèmes liberté et justice. En restant fidèles à la sentence honorable du Prophète «Ne dites de vos morts que du bien», nous nous écarterons de notre méthode journalistique engageant à contrôler les actes de ceux qui dirigent les affaires des peuples dont le destin a voulu qu’ils soient soumis à leur règne et pouvoir. Ainsi, mettre en évidence et dévoiler la vérité – aussi violente et amère qu’elle soit – figure parmi les devoirs du journaliste et de l’historien. Ceci comme une exhortation pour guider le successeur sur le droit chemin tant qu’il est en vie, et lui permettre la rémission de ses péchés le jour où ni biens ni fils ne lui seront utiles, lorsqu’il retournera à Dieu avec un cœur sincère. En 1906, Muhammed el-Naceur Pacha Bey monta sur le trône du Royaume Tunisien pour garder le pouvoir (formel) pendant seize ans, jusqu’à l’âge de soixante-dix ans environ. Peu après son intronisation, il y eut un incident qui provoqua la colère du peuple tunisien en particulier et du monde islamique en général contre ce bey. Suite aux menaces de l’État français, il lui assura son soutien, envoyant des soldats tunisiens combattre leurs compatriotes et frères en religion au Maroc. Lors de cette guerre, le sang de nos frères marrakechiens fut versé sans qu’ils eussent commis d’autre péché que de défendre l’indépendance de leur pays et de leur nationalité contre les agressions barbares des États du corsaire et du colonialisme.
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Anticolonialisme à Berlin
Peu de temps avant son décès cependant, il manifesta certains principes de liberté qui lui ramenèrent la sympathie du peuple revendiquant la constitution – en particulier lorsqu’il tenta de demander sa destitution auprès du gouvernement français, fait sans précédent dans l’histoire de la famille husseïnite. Voici ce qu’il fallait mentionner quant aux actes de ce bey que nous avons évoqué avec franchise, en tournant nos espoirs vers le nouveau bey, dont on dit qu’il est de pensée indépendante et fait partie des combattants de la liberté pour le glorieux pays tunisien! Le roi est mort, vive le roi. Mohammed El Destouri Traduit de l’arabe par Juliane Müller
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6. Le Club d’Orient Le Club d’Orient, fondé en 1921 par Chakîb Arslan et Abdel Aziz Chaouch, représentait un centre important du mouvement anticolonialiste des années 1920 à Berlin. Situé au numéro 11 de la Kalckreuthstrasse, il resta durant au moins dix ans un lieu de rencontre en vogue pour les ressortissants de pays arabes, d’Iran, de Turquie, d’Inde et d’Afghanistan. D’après le diplomate et orientaliste allemand Hans Joachim von Bassewitz, il se voulait «un centre social» pour les musulmans vivant à Berlin: «Les pièces meublées avec goût rappellent la vie orientale. Les Allemands y sont également acceptés en tant que membres (sans droit de vote)».11. Le Club d’Orient a mis tout en œuvre pour «aider les étudiants musulmans sans ressources à se repérer en Europe et à se familiariser avec elle, en éditant des publications sur l’Orient et, plus généralement, publier toute sorte de propagande en faveur de l’Orient».12. Ce dernier objectif a été notamment celui de la revue Liwa-l-Islam (Bannière de l’Islam) qui s’est donné, dans sa première édition, pour mission manifeste de «faire part au peuple allemand de notre juste cause et de la cruauté de nos oppresseurs».13. Aussi bien le Club que la revue ont été financés par Enver et Talât, faisant ainsi partie du vaste réseau des organisations panislamiques et pan-orientalistes regroupées au sein de l’Union des sociétés islamiques révolutionnaires (Islâm Ihtilâl Cemiyetleri Ittihâdi). A Berlin, Muhammed Ali était membre actif du Club d’Orient. On n’a pu clarifier cependant la nature exacte de ses activités. En effet, alors qu’en décembre 1921 Azadi i-Sharq signale que la cérémonie de fondation du Club a eu lieu «dans la maison de notre estimé Muhammed Ali de Tunisie», le nom de Muhammed Ali n’apparaît dans aucune autre source du Club d’Orient. Il est en tout cas probable que Muhammed Ali ait fréquenté le Club d’Orient et qu’il ait réussi à y nouer et consolider des contacts avec les principaux représentants des mouvements de libération nationalistes et panislamiques.
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Le Club d’Orient
De nombreux contacts existaient toutefois déjà auparavant. Ainsi, il est envisageable que Muhammad Ali ait participé, avant la création du Club d’Orient, au Comité d’Action de l’Union des Sociétés islamiques révolutionnaires, constitué par Talât. En effet, faisait partie de ce Comité, en plus d’un représentant de la Turquie, d’Égypte, de Syrie, d’Inde, et d’Azerbaïdjan, également un représentant tunisien et il est fort probable que Muhammad Ali ait été ce représentant. De même, Muhammad Ali pourrait avoir fait la connaissance de l’activiste panislamique et co-fondateur du Club d’Orient, Chakîb Arslan, avant son arrivée à Berlin. Arslan, en tant que volontaire en Libye et confident d’Enver, Talât et Jamal, avait déjà pendant la Première Guerre Mondiale, dans les années vingt, milité à Berlin et à Genève pour le Panislamisme; et il est donc probable qu’il ait été à plusieurs reprises présent dans la vie de Muhammad Ali. Ce lien éventuel est également intéressant à la lumière de contacts ultérieurs entre Habib Bourguiba et Arslan et vaut certainement la peine d’être étudié.
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Le Club d’Orient
M. Photo de la fondation du Club d’Orient dans Azadi-i Sharq (1921)
La légende de la photo est la suivante: «Cérémonie de fondation du Club d’Orient qui a réuni de nombreux orientaux dans la maison de notre estimé Muhammad Ali de Tunisie».
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7. Documents du Ministère des Affaires Etrangères
N. Courrier de l’Ambassade d’Allemagne à Paris au Ministère des Affaires Etrangères du 6 février 1925
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Documents du Ministère des Affaires Etrangères
Ambassade d’Allemagne à Paris
Paris, le 6. février 1925
J. Nr. A 543 K 187. 1 pièce jointe Objet: la question tunisienne Suite au rapport du 24 janvier – A 337 K 134. Selon la déclaration ci-jointe de l’agence Havas du 6 février, le gouvernement français aurait arrêté plusieurs agitateurs communistes à Tunis; parmi eux se trouve un certain Mohamed Ben Ali, qui durant la Guerre était le chauffeur d’Enver Pacha et qui plus tard aurait séjourné à Berlin. Par ordre [signature] Forster Au Ministère des Affaires Etrangères, Berlin. Rapport du 24 janvier – A 337 K 134] Dans ce rapport de l’Ambassade d’Allemagne à Paris adressé au Ministère fédéral des Affaires étrangères il est mentionné: «Dans mes rapports j’ai communiqué que la situation à Tunis requière toute l’attention du gouvernement français. L’agitation communiste et nationaliste qui y règne a récemment poussé le cabinet parisien à instaurer une Commission pour examiner des propositions de réforme […]. Le gouvernement français envisage, selon les indications de Herriot, la mise en œuvre d’une réforme libérale, en vue d’améliorer la situation économique des autochtones et de leur accorder certains nouveaux droits et libertés. Comme je l’ai déjà signalé par télex, le Premier ministre a exposé à cette occasion, que le gouvernement ne se laisserait en aucun cas intimider dans ses efforts de réforme par la campagne des communistes, tout en faisant allusion à l’action de «certaines puissances» sur les opérations à Tunis et en parlant de manière plus évidente d’«un séjour trop long et trop suspect de certains indigènes tunisiens à Berlin» (Bundesarchiv, Auswärtiges Amt, M, R 71124 II Tunis). Déclaration ci-jointe de l’agence Havas du 6 février] Le message ci-joint mentionne que «Mohamed Ben Ali est un ancien charretier de Gafsa, qui devint pendant la guerre chauffeur d’Enver pacha, puis qui fit un séjour à Berlin pour revenir prêcher le trouble. Il fonda dernièrement la C.G.T. tunisienne, exclusivement réservée aux indigènes et dans tous ses actes, il invitait ses coreligionnaires à chasser les Français de Tunisie». Forster] Dirk Forster (1884-1975) était depuis 1921 Conseiller de délégation à l’Ambassade d’Allemagne à Paris.14
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Documents du Ministère des Affaires Etrangères
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O. Enquête du Ministère des Affaires étrangères concernant une information de presse relative à Muhammed Ali
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Documents du Ministère des Affaires Etrangères Objet: Morning Post du 31 janvier 1925. Le Tunisien Mohammed Ben Ali a – d’après ce que j’ai pu découvrir – étudié les sciences économiques à Berlin après la guerre et s’est intéressé en particulier aux questions des organisations de coopératives rurales ‘Raiffeisen’. Il est, selon le professeur Kampffmeyer, un homme réfléchi, qui ne se mêle à aucune agitation politique extrémiste. Un frère à lui vit à Paris. Adressé à Monsieur C.L.R. le Baron von Richthofen Avec le plus grand dévouement Berlin, le 2 mars 1925 [signé] vBassewitz Morning Post du 31 janvier 1925] Il y est écrit: «Hier, lors du débat final de l’évaluation des Affaires étrangères, M. Herriot a, à la demande du communiste M. Berthou, émis clairement son opinion sur les activités subversives des agitateurs communistes [mischief of communist agitation] à Tunis. […] Concernant les revendications des agitateurs à Tunis, le gouvernement n’y céderait pas, car le chef du mouvement, Mohamed Ben Ali, qui tente en permanence de provoquer l’agitation, étudierait en Allemagne, aurait lutté dans l’armée turque et aurait accompagné Enver Pacha en 1915 en Allemagne, où il serait resté jusqu’en 1923. A son retour à Tunis, il se serait occupé de l’organisation du rapatriement des Tunisiens allemands en Allemagne. Le gouvernement ne pourrait pas entrer en relation avec un tel homme» (Bundesarchiv, Auswärtiges Amt R III 78315 Orient Po). Le document du Ministère des Affaires étrangères, reproduit ici, montre que le Ministère ignorait non seulement les activités de Muhammad Ali en Tunisie, mais que ce dernier n’avait apparemment pas non plus attiré l’attention sur lui au cours de son séjour à Berlin. Professeur Kampffmeyer] Georg Kampffmeyer (1864-1936) était professeur au Département de langues orientales à Berlin. Dans un essai détaillé sur Kampffmeyer Höpp fait le portrait d’un homme, qui, en raison de ses intérêts académiques et d’une sincère sympathie pour les mouvements anticolonialistes arabes, prend fait et cause pour les intérêts des étrangers, notamment musulmans, vivant à Berlin et reçoit le blâme du Ministère fédéral des Affaires étrangères, en raison de ses contacts soit disant trop étroits avec eux. Kampffmeyer était président de la Société allemande pour l’Islam, de l’association germano-égyptienne et fonda en 1926 l’Union de soutien aux étudiants arabes en Allemagne, qui a milité pour l’exonération de frais de l’enseignement supérieur, de logements à bas prix et d’autres offres d’assistance pour les étudiants arabes. Bien qu’il n’y ait jusqu’à présent aucune indication que Muhammad Ali ait été en contact avec le Département de langues orientales, la déclaration de Kampffmeyer prouve qu’il doit avoir connu Muhammad Ali.15 Un frère du cité] Par «frère», il s’agit du cousin de Muhammad Ali, Belgacem Chaféï..16 Monsieur C.L.R. Baron de Richthofen] Herbert von Richthofen (1879-1952) dirigeait à ce moment là, en tant que conseiller de légation référent, la sous-direction 2 (Orient) au sein du Ministère des Affaires étrangères.17 vBassewitz] Hans Joachim von Bassewitz (1898-?) était un diplomate, orientaliste et interprète allemand. Il était employé depuis 1924, en tant qu’attaché culturel, au Ministère des Affaires Etrangères. En 1925, il alla travailler à l’Ambassade d’Allemagne à Constantinople.18
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V. Liste des images et gravures A. Registre des inscriptions de l’Université Friedrich-Wilhelm Berlin (1921). Archives de l’Université Humboldt, Berlin. B. Registre officiel des étudiants de l’Université Friedrich-Wilhelm Berlin, semestre d’hiver 1921/1922. Archives de l’Université Humboldt, Berlin.
C. Registre de rectorat de l’Université Friedrich-Wilhelm Berlin, Rectorat 112, N° 2577. Archives de l’Université Humboldt, Berlin. D. Extrait du procès-verbal de la première Assemblée des représentants des étudiants étrangers du 19 février 1921. Archives de l’Université Humboldt, Berlin, dossiers et procès-verbaux de la commission des étrangers 1920/21/22/25. E. Berliner Hochschulnachrichten 1921, N° 6. p. 71. F. Extrait du registre des cours de l’Université Friedrich-Wilhelm Berlin pour le semestre d’été 1921. Archives de l’Université Humboldt, Berlin, Sich 004 933. G. Plan de Berlin et de ses vingt arrondissements (graphique: Joshua Rogers) établi d’après un plan de la ville de Berlin selon la loi du 27 avril 1920, dressée par la Chambre municipale du plan (Städtische Plankammer). Berlin 1920. H. Carte postale de 1927. Le vieux Berlin, passage dans la Fischerstraße, vue sur la Stadthausturm. Propriété privée. I. Annuaire de Berlin de 1923. Tous les annuaires de Berlin de 1799 à 1943 sont disponibles au format électronique sur la page Internet http://adressbuch.zlb.de. J. Couverture de la revue Azadi-i Sharq 2 (1922), N° 20/21, p. 1.
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K. Lettre de Muhammad Ali à son cousin Ali Belgacem Chafféї, 30 novembre 1922. Voir Ahmed Ben Miled: Aux origines du syndicalisme tunisien. Deux documents relatifs au séjour et aux activités de Muhammad Ali à la veille et au lendemain de la Grande Guerre. Dans: Les Cahiers de Tunisie 25 (1977), N° 97-98. L. Mohammed El Destouri: Wafât Bey Tunis. Dans: Azadi-i Sharq 2 (1922), N° 20/21, p. 9. Traduction française de Juliane Müller. M. Photo de la fondation du Club d’Orient dans Azadi-i Sharq 1 (1921), N° 9, p. 3. N. Courrier de l’Ambassade d’Allemagne à Paris au Ministère des Affaires Etrangères du 6 février 1925. Archives politiques du Ministère des Affaires Etrangères (Politisches Archiv des Auswärtigen Amtes), R 71124, Abt. II Tunis. Vol. 3. O. Hans Joachim von Bassewitz à Herbert von Richthofen, 2 mars 1924, concernant l’enquête du Ministère des Affaires Etrangères sur une information de presse relative à Mohamed Ali. Archives politiques du Ministère des Affaires Etrangères (Politisches Archiv des Auswärtigen Amtes) R 78515, Abt. III, Orient Po 15. Vol. 2.
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VI. Annotations 1
Karl Remme: Das Studium der Ausländer und die Bewertung der ausländischen Zeugnisse. Berlin2, 1932. 2 Tahar Haddad: Les Travailleurs Tunisiens et l’émergence du mouvement syndical. Traduit d’arabe par Abderrazak Halioui. Tunis 1985, p. 42. 3 Rüdiger Zimmermann: August Müller (1873-1946). Dans idem: Biographisches Lexikon der ÖTV und ihrer Vorläuferorganisationen. Bonn 1998. Publication en ligne: http://library.fes.de/fulltext/bibliothek/tit00205/00205h18.htm#LOCE9E125.
Dernier accès le 16.02.2009. 4 August Müller: Weltkrieg und wirtschaftlicher Wiederaufbau. Berlin 1920, p. 14. 5 August Müller: Das deutsche Genossenschaftswesen. Eine Darstellung bodenständiger Gemein-wirtschaft. Berlin 1921, p. 5. 6 August Müller: Das deutsche Genossenschaftswesen, p. 5. 7 Azadi-i Sharq 1 (1921), Nr. 1, p. 1. 8 Cf. Gerhard Höpp: Arabische und islamische Periodika in Berlin und Brandenburg 1915 bis 1945. Geschichtlicher Abriß und Bibliographie. Berlin 1994. 9 Azadi-i Sharq 1 (1921), N° 1, p. 1. 10 Cf. Ahmed Ben Miled: Aux origines du syndicalisme tunisien. Deux documents relatifs au séjour et aux activités de Muhammad Ali à la veille et au lendemain de la Grande Guerre. Dans: Les Cahiers de Tunisie 25 (1977), N° 97-98, p. 239-252. 11 Nachrichten zur vertraulichen Kenntnis der persönlichen Mitglieder der deutschen Gesellschaft für Islamkunde 1 (1921), N° 1, p. 3. Cette revue, non destinée aux librairies, était éditée par Georg Kampffmeyer. 12 Cité selon: Mehmed Talat Pascha. Asyl und Tod in Berlin. Dans: Böer, Ingeborg p.e. (Ed.): Türken in Berlin 1871-1945. Eine Metropole in den Erinnerungen osmanischer und türkischer Zeitgenossen. Berlin, New York 2002, p. 200.
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13
Liwa-al-Islam 1 (1921) N° 1, p. 1. 14 Article «Forster, Dirk». Dans: Keipert, Maria et Grupp, Peter (Ed.): Biographisches Handbuch des deutschen Auswärtigen Dienstes 18711945. Vol. 1. Paderborn 2000. 15 Gerhard Höpp: Orientalist mit Konsequenz: Georg Kampffmeyer und die Muslime. Dans: Flasche, Rainer p.e. (Ed.): Religionswissenschaft in Konsequenz. Beiträge im Anschluß an Impulse von Kurt Rudolph. Münster 2000, p. 37-47. 16 Cf. Ahmed Ben Miled: Aux origines du syndicalisme tunisien. 17 Article «Richthofen, Herbert von». Dans: Keipert, Maria et Grupp, Peter (Ed.): Biographisches Handbuch des deutschen Auswärtigen Dienstes 1871-1945. Vol. 3. Paderborn 2008. 18 Article «Bassewitz, Hans-Joachim». Dans: Degener, Hermann A.L. (Ed.): Degeners Wer ist’s? Berlin10, 1935.
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VII. Les Auteurs Gerhard Höpp (1942-2003) a étudié à Leipzig la langue arabe, l’Islam et la théologie et a passé sa thèse de doctorat en 1972. En 1986, il a passé l’agrégation avec un travail sur l’histoire et l’idéologie du mouvement des nationalistes arabes et des organisations qui lui ont succédé. Son intérêt scientifique s’est tout d’abord porté sur les différents courants intellectuels et idéologiques au Moyen-Orient au 20e siècle. Il s’est ensuite de plus en plus consacré au destin d’Arabes et musulmans d’Europe, particulièrement d’Allemagne, de 1900 à 1945. Il est devenu expert dans ce domaine. Personne ne connaissait aussi bien que lui les archives correspondantes à Berlin, en Allemagne et même à l’échelle européenne. Son legs volumineux est, depuis sa mort prématurée, géré par le Centre d’Orient Moderne (Berlin). Joshua Rogers a étudié, à Oxford, Berlin et Paris, la politique et l’histoire internationales. Kathrin Wittler a étudié à Berlin et Tel Aviv la littérature allemande et arabe.
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